Tout l'amour du monde de Michel Déon

Tout l'amour du monde de Michel Déon

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Jlc, le 3 mars 2012 (Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans)
La note : 8 étoiles
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La vie rêvée

« Tout l’amour du monde » dont le tome 1 fut publié en 1955 et le second en 1960 étaient devenus quasiment introuvables. La collection « La petite vermillon » a eu la bonne idée de les republier en un seul volume de poche. L’occasion de faire une très jolie balade autour du monde de Déon.

Il n’est pas encore ce « nomade sédentaire » dont parlera Pol Vandromme mais il voyage déjà beaucoup, sans se presser à l’inverse de son ami Paul Morand, atteint de bougeotte aiguë. De ces diverses escales il rompt sa solitude en écrivant à des femmes qu’il a aimées, quittées quand ce ne sont pas elles qui ont choisi une vie ailleurs. « Leur écrire à toutes est une façon pudique de prouver sa reconnaissance ». Avec beaucoup de grâce et d’élégance, il esquisse un paysage, raconte un moment, se souvient d’un geste qui aurait pu changer une vie. Ainsi de ce soir vénitien où dans l’ombre de la passerelle d’un canal une jeune fille lui donne un « baiser frais et léger » avant de disparaître. « Rien ne pouvait égaler ce don et cette connivence ». De cet instant naîtra une mélancolie douce et des émotions que nous retrouverons dans tel ou tel roman ultérieur. Ce livre a été reçu par certains comme une matrice de l’oeuvre future de Déon. Ces lettres envoyées d’Italie, de Rio dont il a « aimé la baie comme on aime ces femmes que l’on admire sans les désirer ce qui n’est pas très poli », du Maroc ou de l’Escurial évoquent bien sûr les lieux d’où il écrit tout en nous offrant des promenades littéraires ou sentimentales, ici ou là. A l’une il envoie une nouvelle « La princesse de Manfred » sous forme de bonnes feuilles. A une autre, probablement Françoise Sagan, il trace son futur itinéraire new-yorkais. Toujours avec beaucoup de pudeur, de tendresse. Chez lui la mélancolie n’est jamais triste, la nostalgie jamais amère et « l’amour une merveilleuse solitude à deux ».

Changement de ton dans le second tome. « C’est qu’entre temps, j’ai vieilli. Pas beaucoup. Un peu seulement. Juste ce qu’il faut. Je n’écris plus à de belles amies. J’écris à moi-même. Il n’est pas certain que ce soit une façon de se raconter plus sincère que l’autre ». Le style reste toujours aussi limpide, le sens de la formule aussi percutant, mais le ton est un peu plus grave sans perdre sa légèreté. Et les fêtes ne sont plus les mêmes car « les fêtes meurent quand on veut les revivre ». Les sujets sont moins personnels et le regard porté sur l’époque plus navré que compréhensif. Michel Déon qui se dit monarchiste de coeur est un réactionnaire, au meilleur sens du terme, en rien un conservateur. Le goût du panache lui fait écrire : « Décidément le mépris est une bonne arme pour défendre la liberté. Les peuples qui s’en défont sont prédestinés à l’esclavage ». On peut penser que les futurs insurgés de Prague et d’ailleurs partagèrent ce message. De même se met-il en marge des tendances de fond qui transforment notre société. « Nous arrivons au jour où le nouveau péché du monde n’est plus le vice (ou la vertu) mais la richesse. Il est temps selon les augures que tout appartienne à tout, c’est à dire rien à rien. » Propos certes provocateur, écrit il y a plus de cinquante ans qui garde toute son actualité dans un monde désaxé par une finance affolée d’elle même.

Michel Déon se définit dans ce livre comme « un écrivain qui aime les mots plus que les idées, la beauté des êtres plus que la beauté des choses, le cœur plus que l’esprit ». Il a quarante ans et pour la première fois « regarde l’automne comme la saison d’un indicible espoir ». Il est prêt pour écrire les grands livres de sa vie. Son ami Jacques Laurent a tout compris, Déon est « un des rares écrivains du bonheur ». Un de ceux dont le lecteur aurait aimé avoir le talent de vivre la vie.

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Les éditions

  • Tout l'amour du monde [Texte imprimé], récits Michel Déon
    de Déon, Michel
    la Table ronde / La Petite vermillon (Paris).
    ISBN : 9782710367918 ; 8,70 € ; 21/04/2011 ; 346 p. ; Poche
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