La soeur
de Sándor Márai

critiqué par Alma, le 26 mars 2012
( - - ans)


La note:  étoiles
2 récits enchâssés
LA SŒUR se présente sous la forme de 2 récits enchâssés . Dans le premier, qui encadre le second, le narrateur, un écrivain, relate un séjour dans un hôtel alpin où il se trouve bloqué par une tempête de neige en compagnie d’autres clients . Nous sommes en 1942, la 1ère guerre mondiale gronde au loin . Le narrateur en promenade reçoit les confidences de Z, un célèbre pianiste retiré de la vie musicale, qu’il avait déjà rencontré et qui déclare vouloir lui confier un ensemble de notes prises lors d’un séjour de 3 mois dans un hôpital italien, à charge de les rendre publiables. Ce pianiste quitte brusquement l’hôtel le lendemain. Quelque temps plus tard, le narrateur apprend sa mort puis reçoit par courrier le journal de son séjour hospitalier .

La deuxième partie est constituée de ce carnet de bord, commencé à la suite d’un concert à Florence, lors de la première attaque d’un mal mystérieux et poursuivi pendant les 3 mois du séjour dans l’hôpital où les dignitaires fascistes ont appelé à son chevet les meilleurs médecins .
On retrouve , dans une seule et dernière page le premier narrateur qui reprend alors en charge le récit pour le clore brièvement .

2 récits très différents . Dans les 82 premières pages du premier, le lecteur peut avoir l’impression de se trouver transporté dans un roman d’Agatha Christie . Dans le huis clos de l’auberge, les clients bloqués s’ennuient . Le narrateur décrit chacun d’eux, rend compte de ses habitudes, détaille la vie quotidienne de l’hôtel soudain bouleversée par la découverte d’un couple de clients morts pendant la nuit . Puis, Z, jusqu’à présent muet et discret, s’adresse à lui …..La narration est très précise, chronologique, comme une sorte d’élégant compte-rendu.

Le 2e récit, basé sur les différentes étapes de l’étrange mal dont le nom n’est jamais prononcé par le médecin, est constitué d’une succession de réflexions : s’entrecroisent réflexions sur la maladie, sur l’état de dépendance qu’elle entraîne , sur les assauts progressifs de la douleur , sur les relations malades/soignants , et surtout sur « les rendez-vous chimiques » que Z attend impatiemment chaque nuit avec la piqure de morphine seule capable de faire disparaître les douleurs intenses et que lui délivre l’une des quatre religieuses infirmières attachées à le soigner. Il analyse dans une prose mélodieuse – l’écriture est alors pour lui un substitut au piano- les passages du conscient à l’inconscient, « les heures d’extase nocturne », puis celles du manque et de l’état de dépendance. S’y rencontre aussi une incitation à réfléchir aux possibles origines psychologiques de son mal « Comment le possible mensonge d’une vie peut-il se transformer en maladie ?»

Des liens subtils se tissent les deux parties, le souvenir d’un personnage évoqué par Z dans sa conversation avec le narrateur, une femme frigide avec laquelle Z avait entretenu pendant de longues années une relation platonique, le thème de la musique, de son pouvoir, avec en arrière-plan la guerre qui ravage l’Europe .

Un roman riche, dominé par l’angoisse où l’action pourtant réduite est soutenue par l’élégance et la fluidité des 2 voix narratrices .
Réflexions sur la vie, la maladie, la mort 8 étoiles

Alma a remarquablement résumé ce roman, inutile de rien ajouter. L'intensité de ces deux récits est encore accrue lorsque l'on réfléchit à l'époque où Sandor Marai l'a rédigé : peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, alors que la Hongrie est progressivement soumise au communisme, ce qui va entraîner le départ de l'écrivain pour l'exil. Il s'interroge lui-même sur les mystères de la vie, ces échanges, parfois longs qui jalonnent le récit sont l'objet même de l'ouvrage, l'intrigue n'est que secondaire à mon avis.

C'est toujours un plaisir de lire Sandor Marai et les rééditions successives sont une bénédiction ! D'après Wikipedia, on aurait répondu, dans une grande librairie de Budapest à la fin des années 1980 qu'on ne connaissait pas d'écrivain de ce nom en Hongrie... Voilà les bienfaits du communisme ! Sandor Marai se donnera la mort en 1989 avant de connaître le retour de sa patrie à la liberté.

Tanneguy - Paris - 85 ans - 10 mai 2012