Le Christ obèse de Larry Tremblay

Le Christ obèse de Larry Tremblay

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 28 mars 2012 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 10 étoiles
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Enfirouapé par l'Église

Pourquoi Freud n’a-t-il pas écrit une interprétation psychanalytique de l’Évangile ou de la Torah ou du Coran ? Nous aurions vu que l'Église s’est donné une vision nébuleuse du Créateur. À une semaine de Pâques, le roman de Larry Tremblay tombe pile, mais son évangile s’est détourné de l’happy end de la Résurrection, qui a mis fin à la souffrance christique. Contrairement au Sauveur de l’humanité, la nôtre nous colle à l’âme, sans l’espérance de ses effets libérateurs. Serait-ce que celle du fils de Dieu soit infiniment supérieure à celle des enfants de Dieu ? Quand on est le fils de Dieu, n’est-on pas aussi son enfant ? La religion nous réserve la mort comme délivrance contrairement aux grandes religions de l’Inde, qui proposent une vision beaucoup plus saine de notre humanité.

Le Christ obèse s’appuie sur cette toile de fond pour décrire la réflexion du narrateur Edgar, impliqué dans une œuvre salvatrice. S’étant rendu un soir au cimetière pour rendre hommage à sa mère récemment décédée, il est témoin du viol d’une femme par quatre individus. Sensible à la souffrance d’autrui, il emmène la victime chez lui pour lui prodiguer les soins nécessaires. Soins qui lui révèlent que la robe déchirée qu’elle portait cachait un corps d’homme.

Comme héritier d’une mère plutôt fortunée, le héros, un trentenaire célibataire, peut se consacrer entièrement au service de son protégé qu’il prénomme Jean à cause de l’admiration de sa mère pour Jean XX111. C’est le début d’une vie commune, marquée par des monologues de sourd alors qu’Edgar soigne et nourrit la victime. Cette dépendance d’un corps malade à son thérapeute improvisé débouche sur une vie fusionnelle. Comme un enfant dépendant de sa mère, il tisse des liens difficiles à dénouer lorsque vient le temps de rompre les ponts. Quand la tutelle se prolonge indûment, les rôles s’inversent. Jean exerce une emprise sur son bienfaiteur, obsédé par celui qui a remplacé la défunte mère. Bref, la fusion destructrice de la personnalité se poursuit.

Edgar est incapable de vivre sans un vassal salvateur, qui se transforme en Christ obèse à force de se nourrir de la souffrance de son sujet. La religion de la prospérité a marqué ce héros apparenté aux Québécois pratiquants des années 1950, empêtrés dans les jupes de la mère pendant l’enfance et dans les soutanes à partir de l’adolescence. D’ailleurs, quelle n’est pas la plus belle preuve d’amour que le héros puisse donner à sa mère que de lui promettre de devenir prêtre ! Tout pour le Père qui est dans les cieux. Le Pater noster est sa prière favorite, mais il est persuadé que le « sed libera nos a malo » passera outre à sa demande.

Larry Tremblay vient de concocter le plus beau thriller psycho-religieux qui soit. Mais c’est un roman pessimiste, qui nous fait désespérer de la vie. Un monstre aux pas de velours sommeille dans le cœur de tout un chacun. L’auteur le démontre de belle façon sans ridiculiser la religion. Il reproche plutôt aux églises chrétiennes de nous enfirouaper (duper) en présentant la mort comme une délivrance. Bref, c’est du grand art.

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