Grenouilles de Mo Yan
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Quand le génie littéraire s'empare du thème de l'enfant unique...
Dernière traduction française d'un roman de Mo Yan, l'un des plus grands auteurs chinois continentaux actuels, je n'ai pu résister à l'envie de la lire avant sa parution en poche. J'avais en effet été conquise (avis confirmé sur C.L jusqu'ici) par les deux romans que j'avais lus jusqu'à ce jour:"La dure loi du karma" et"Le chantier".
"Grenouilles" adopte pour thème central la politique de l'enfant unique, au travers de la vie et de l'expérience d'une tante du narrateur, gynécologue-obstétricienne très douée, une personnalité hors du commun, personnage fort en gueule et haut en couleur. Celle-ci se verra tour à tour adulée puis haïe, adulée comme bienfaitrice lorsqu'au début de sa carrière, elle introduit dans cette campagne chinoise des années 50 son savoir et ses méthodes, sécurisant l'accouchement des femmes jusqu'alors livrées à des pratiques souvent obscurantistes, plus tard haïe lorsqu'elle deviendra le bras zélé du planning familial.
Le roman couvre la seconde moitié du XXéme siècle jusqu'à nos jours en se focalisant sur cet aspect de la politique, depuis son émergence jusqu'à son évolution actuelle.
Suite à la grande famine du début des années 60, la Chine connut un pic de natalité "les enfants patates douces" , inquiétant les autorités qui lancèrent en 1965 le slogan: "Un ce n'est pas peu, deux c'est ce qu'il faut, trois c'est un de trop." Bientôt,devant le risque alarmant de pouvoir faire de moins en moins face aux besoins de cette population, le gouvernement prit des mesures radicales. Au fur et à mesure qu'elles se heurtaient à des résistances dans les mentalités, au refus des méthodes contraceptives, la politique menée devint de plus en plus coercitive: vasectomie des hommes, avortement forcé des femmes, sanctions en cas de refus.
Concernant les avortements, il semble que cette politique ait parfois donné lieu à des épisodes dramatiques. S'agit-il de dérives réelles ou Mo Yan imagine-t-il que le radicalisme d'agents du planning familial trop zélés aurait pu engendrer de telles dérives? Sans doute un peu des deux.
L'auteur porte là-dessus un regard ambivalent. Si sa raison justifie la nécessité de cette politique et s'il se garde de criminaliser ses agents, il n'en stigmatise pas moins les dérives -il égratigne au passage les cadres vasectomisés qui, de ce fait,se permettaient d'abuser de jeunes filles sous leurs ordres - et son coeur déplore la souffrance et le gâchis qui ont pu résulter d'avortements imposés.
Aujourd'hui, la politique de l'enfant unique , toujours en vigueur, a connu bien des évolutions dans les faits:
"ceux qui ont de l'argent font des gosses et paient l'amende"
"ceux qui n'ont pas un sou font des gosses , mais en cachette"
"ceux qui sont dignitaires font faire les gosses par une "deuxième""
"seuls les petits fonctionnaires sans argent et timorés n'osent pas faire d'enfants"
Qui plus est, dans ce contexte de l'enfant unique, les chinois ont développé un véritable culte pour le petit enfant, choyé, adulé, objet de désir.
A la nécessité dictée par la raison, au niveau de l'état, de contrôler le développement de l'espèce s'oppose le besoin ancré depuis toujours en l'homme (comme en toute autre espèce d'ailleurs) de se reproduire, désir de s'assurer une descendance chez l'homme, désir d'enfant chez la femme. Petit Lion incarne cette dualité: totalement dévouée à seconder la tante dans la première partie de sa vie, elle se révèlera dans la suite totalement obsédée et souffrante, habitée presque jusqu'à la déraison par ce désir de réalisation maternelle - occasion, pour l'auteur d'évoquer le problème moderne et délicat des mères porteuses.
Commencée dans la négation, la partie roman pur de l'oeuvre s'achève à travers une sorte de mascarade par le triomphe de la vie.
Ceci dit, l'intérêt du roman réside moins, à mon sens, dans le sujet, certes intéressant, que dans la manière dont il est traité.
Mo Yan confirme là une imagination débordante capable de s'emparer du réel pour le transcender, avec brio, en une création littéraire foisonnante, un peu débridée, un peu surréaliste, émanation fantasmée du réel, mais ô combien expressive et chargée de sens.
Au coeur de la narration, et de plus en plus présente , au fur et à mesure que l'on avance dans l'oeuvre, la figure du petit enfant s'enrichit en quelque sorte de son double: la figure symbolique de la grenouille, qui justifie le titre. Il faut savoir qu'en chinois, le mot "wa" se prononce de la même façon pour désigner "bébés" et "grenouilles".
Aussi, l'oeuvre est-elle conçue comme une variation autour de ce thème double, se démultipliant à l'infini, se déclinant en multiples facettes, qui se renvoient les unes aux autres, entre lesquelles l'auteur s'amuse à nous promener et à nous perdre:
-les statuettes d'argile, représentations enfantines inspirées de Hao Grandes Mains et Quin He;
-l'élevage de grenouilles-taureau de Wan la joue et du cousin du narrateur;
-les grenouilles qui assaillent la tante dans le marécage comme autant de réincarnations vengeresses de ces bébés qui n'ont jamais vu le jour;
etc, etc...
On retrouve ici cette patte personnelle de Mo Yan , qui consiste à traiter de sujets sérieux en mêlant naturellement réalité et fantaisie délirante, dimension épique parfois, comique et tragique, tendresse et gravité sans oublier humour.
Un petit bémol néanmoins ici, pour ce qui me concerne: Mo Yan, en véritable écrivain qu'il est, cherche sans cesse à se renouveler dans la forme, en explorant inlassablement le champ de la création littéraire. La forme de l'ensemble pourra paraître ici un peu alambiquée. En effet,la relation de l'épopée légendaire de la tante se veut d'abord "matériau", prétexte à exercice littéraire, et se présente d'abord sous forme de lettres adressées par un apprenti écrivain (le narrateur), Têtard de son nom de plume, à son maître, grand romancier japonais.
Elle se complète par "l'oeuvre" de Têtard, version théâtrale fantasmée de cette relation, nouvelle variation sur le même thème.
Ce parti pris reste en fait assez artificiel, de mon point de vue, car fort heureusement, à la lecture, on oublie vite que l'on est dans une soi-disant forme épistolaire, tant la prose reste fluide et l'art du conteur, vivant, se démarquant ainsi d'une forme épistolaire classique.
J'avoue ne pas avoir été convaincue par cette focalisation sur le traitement littéraire qui m'a semblé participer d'une mise à distance du récit et des personnages préjudiciable à l'empathie.
Les éditions
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Grenouilles [Texte imprimé], roman Mo Yan traduit du chinois par Chantal Chen-Andro
de Mo Yan, Chen-Andro, Chantal (Traducteur)
Seuil
ISBN : 9782021024005 ; 25,00 € ; 18/08/2011 ; 408 p. ; Broché -
Grenouilles [Texte imprimé], roman Mo Yan traduit du chinois par Chantal Chen-Andro
de Mo Yan, Chen-Andro, Chantal (Traducteur)
Points / Points (Paris)
ISBN : 9782757831045 ; 8,50 € ; 04/10/2012 ; 525 p. ; Poche
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Ennuyeux. Dommage !
Critique de Lectio (, Inscrit le 16 juin 2011, 75 ans) - 19 février 2014
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