Pierre Benoit : Le romancier paradoxal
de Gérard de Cortanze

critiqué par Shelton, le 3 avril 2012
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Un livre de base pour découvrir Pierre Benoît...
Nous avons chacun nos lectures d’adolescence, celles qui nous ont permis d’être ce que nous sommes devenus. Elles ont à nos yeux une importance capitale qui n’est pas liée aux qualités littéraires objectives et reconnues. Ce qui compte, c’est ce que ces livres nous ont appris de la vie, nous ont révélé de nous, nous ont préparé à vivre… Il y avait ainsi chez moi des auteurs « avouables » comme Flaubert – je suis un amoureux de l’Education sentimentale » – et des écrivains dont je ne parlais pas trop sentant que ceux-ci n’étaient pas appréciés – pour des raisons littéraires ou politiques, de mode ou d’époque, allez savoir ! – à leur juste valeur. Il y avait ainsi dans ma bibliothèque cérébrale et sentimentale des auteurs comme Agatha Christie, Robert Brasillach, Pierre Benoît, Somerset Maugham, Naipaul… Quand j’ai commencé à faire de la radio j’ai pu un jour mettre à l’honneur ce dernier, puis lors d’un spectacle j’ai dépoussiéré mon ami Maugham, enfin, sur certains sites Internet j’ai pu critiquer des livres en montrant que, loin des idéologies ou partis pris, on pouvait les lire avec passion et prendre, ce que chaque lecteur recherche avant tout, du plaisir ! Pierre Benoît fait partie de ces auteurs que j’avais un peu enterrés au fond des rayonnages…

Il aura fallu un anniversaire, les cinquante ans de sa disparition, une série de rééditions – La Châtelaine du Liban, Axelle, Mademoiselle de la Ferté, Kœnigsmark, l’Atlantide, le Roi lépreux – et une colossale biographie pour me pousser à relire quelques-uns de ces romans qui avaient tant compté pour moi…

Cette biographie de Gérard de Cortanze est impressionnante. Certes, c’est d’abord un gros ouvrage, qui avec ses plus de cinq cent pages peut dissuader quelques lecteurs. C’est vrai que je ne conseillerais pas de plonger dans un tel ouvrage un novice qui n’aurait jamais lu un seul roman de Pierre Benoît. Il serait débordé, assailli de tant de nouvelles choses qu’il ne pourrait pas se repérer. Il faut commencer, du moins à mon avis, par lire quelques romans, disons trois à six, pour avoir déjà un petit pied dans l’univers de Pierre Benoît. Prenons par exemple Kœnigsmark – son universalité et sa notoriété le rendent incontournable – et l’Atlantide puisque ces deux titres viennent de retrouver leur position historique dans le Livre de poche ; lisons ensuite La Châtelaine du Liban car réédité mais représentatif d’une série d’ouvrage de Pierre Benoît sur le Proche Orient ; enfin, retrouvons chez les bouquinistes deux titres essentiels à mes yeux, l’Ile verte et Fort-de-France.

C’est alors que vous allez prendre un grand plaisir à lire cette biographie de Gérard de Cortanze. Ce n’est pas un simple récit sur un auteur français devenu académicien, ni la vie trouble d’un homme à femmes, du moins dans les deux tiers de sa vie, ni encore l’analyse littéraire de ses plus de quarante romans. Non ! C’est une mine vivante et passionnante, c’est un recueil d’anecdotes et de portraits, c’est une rencontre avec un homme, avec ses amis et ses contemporains, avec une époque, avec un phénomène de l’édition aussi… Pensez donc, une fidélité incroyable à son éditeur Albin Michel, un public lui-aussi fidèle qui en fait presque l’homme le plus lu du vingtième siècle en France !

L’auteur de la biographie n’hésite pas à aborder quelques sujets plus délicats car honorer un homme c’est aussi ne rien laisser sous silence : son faux enlèvement pour échapper à une ou deux maitresses envahissante, son refus d’avoir des enfants, sa vie durant la seconde guerre mondiale, ses relations avec certains hommes de droite « infréquentables », son amitié forte avec Paul Morand, l’Académie française… Oui, cette biographie ne laisse rien dans l’ombre, elle va au bout des informations connues et donne un éclairage capital sur cet écrivain qui mystérieusement n’est plus dans le cœur des lecteurs…

Il y a deux semaines, à la recherche d’un titre que je n’avais pas, j’entends un bouquiniste me dire qu’il devait avoir quelque part un ou deux exemplaires de Kœnigsmark car ce roman de Pierre Benoît, au moins, se vendait quelquefois contrairement aux autres… Puissent cette biographie, cet anniversaire de la disparition de l’auteur, la réédition de plusieurs titres redonner envie aux lecteurs de prendre le chemin de ces romans qui ont beaucoup fait rêver leurs parents et grands-parents…
Tout y est ! 9 étoiles

Tout y est je pense. C'est un immense travail réalisé ici, destiné aux passionnés des romans de Pierre Benoît, catégorie à laquelle j'appartiens depuis très longtemps. Cet ouvrage est une référence indiscutable... et un vrai régal !
En présentant judicieusement et dans les moindres détails tous les événements qui ont jalonnés la vie de Pierre Benoît, qu'ils soient intimes, personnels ou plus extra-personnels (pour faire court, qu'on me pardonne : "climat social" en France, événements nationaux, contexte international...), l'auteur nous propose une biographie à la ligne directrice captivante. En exposant ainsi sa vie, dans toutes ses facettes, sans rien cacher, il met à jour qui est véritablement Pierre Benoît. Et, force est de constater que ce n'est pas exagéré du tout de dire que sa vie constitue à elle seule un véritable roman !

Le terme "paradoxal" du titre prend tout son sens désormais ; car, en agissant de manière imprévue, théâtrale, en cultivant avec malice des extrêmes (comme par exemple la solitude et l'isolement, mais aussi la vie mondaine publique et ses frasques), Pierre Benoît a toujours été, semble t-il, entrevu comme un homme insaisissable. Et comme à ce trait de caractère se sont ajoutées de brillantes qualités intellectuelles, couplées d'une réussite sociale incontestable et visible, pas étonnant que certaines personnes envieuses, dédaigneuses, voire rétrogrades, ont trouvé là matière à mordre férocement l'auteur via des critiques et reproches semblant avant tout destinées à attaquer l'homme et ses actes, plutôt que de juger objectivement ses nombreuses et protéiformes productions écrites. Ceci sera d'ailleurs une constante dans sa vie, même lorsqu'il publiera dans la douleur "Les Amours mortes" un an avant son décès. A ce titre, nous pourrions presque dire de façon réductrice : soit on aimait Pierre Benoît, soit on ne l'aimait pas ; la question étant toujours : doit-on séparer l'oeuvre de la vie privée de l'homme ? Une question apparemment très vite réglée par ses amis proches (il y a en eu beaucoup !) et surtout par ses fidèles et très nombreux lecteurs ! Là réside peut-être son plus grand tour de force : avoir su créer un nouveau type de roman : une histoire pour le plaisir de lire, permettant au lecteur de s'évader, un roman dégagé de tout militantisme et prosélytisme, un roman "qui ne veut rien prouver, ni délivrer une thèse, ni adresser au monde prosterné aucun message. Juste le plaisir de conter, à la magie d'inventer, de rêver".

Pierre Benoît n'était en effet pas un homme engagé comme certains auraient aimé qu'il le soit. Néanmoins, à la lecture de cette biographie, nous nous apercevons qu'il avait des valeurs et des convictions, qu'il a su faire partager ou à partir desquelles il a su agir en conséquence, démontrant ainsi une honnêteté indiscutable. A ce propos, l'un des tournants de sa vie aura été son injuste emprisonnement pour des actes imaginaires de collaboration, ce qui l'a profondément meurtri. Le roman "Fabrice" en donnera une explication fortement autobiographique, souhaitant ainsi par ce biais dire "sa vérité".
Ceci nous démontre aussi que la vie de Pierre Benoît ne peut pas être dissociée de ses romans : l'un permettant d'éclairer l'autre et inversement. Il témoigne de ce qu'il a vu ou touché, cherche toujours à comprendre ce qui l'entoure, "fidèle qu'il est à son idée qu'un écrivain doit être de son temps et écrire sur son époque". Ainsi, même s'il ne la jamais revendiqué, le caractère autobiographique de ses romans est indéniable. Les décors exotiques et les personnages hauts en couleur permettent juste une distanciation.

La femme a également une place prépondérante dans sa vie, donc dans ses romans. Dans sa vie, il y aura ses deux soeurs et sa mère, mais aussi bon nombre de conquêtes. Dans ses romans, dont l’héroïne porte toujours un prénom commençant par la lettre "A", la femme revêt une place centrale aux yeux d’un homme (ou de plusieurs) qui en fait le récit de manière émouvante, souvent nostalgique, et pour laquelle il éprouve une grande fascination du fait de sa beauté et de sa grâce, mais aussi pour son charisme et sa destinée souvent tragique, tout du moins romanesque.
Mais la femme, ce sera surtout sa femme Marcelle, rencontrée tardivement, décédée prématurément à la suite d'un long cancer. La dimension autobiographique, pour le coup très explicite, trouve son paroxysme dans "Les amours mortes", racontant la lente agonie de sa femme. Une déchirure jamais cicatrisée : il décèdera deux ans après.

Ce livre n'est pas destiné à expliquer tous les romans de l'auteur ; certains sont d'ailleurs plus mis en avant tels "Koenigsmark", "L'Atlantide", "Le Puits de Jacob", "L'Ile verte", "L'oiseau des ruines", "Fabrice" ou encore "Les Amours mortes". Mais, compte tenu de la très prolifique production littéraire de Pierre Benoît (sauf erreur de ma part, 46 romans, soit plus d'un roman par an en moyenne), cet ouvrage permet de bien tous les contextualiser. Sans cette biographie, nous serions perdus ! Et grâce à elle, nous pouvons ouvrir avec plaisir le grand le roman de la vie de l'auteur : ses rencontres, ses voyages, ses lectures, ses articles journalistiques, ses poèmes, ses nouvelles, ses dialogues de cinéma...

Pierre Benoît était un homme enjoué, qui aimait la vie, épicurien, plus sensible certainement qu'il ne laissait paraître et dont la plume magique nous enchante encore 50 ans après sa disparition. Cette biographie devrait contribuer à le réhabiliter, ce n'est que justice.

PPG - Strasbourg - 48 ans - 25 mai 2012