La pierre et l'oreiller
de Christian Dotremont

critiqué par Eric Eliès, le 8 avril 2012
( - 50 ans)


La note:  étoiles
La vie comme une lente castatrophe...
Ce livre de Christian Dotremont (surtout connu comme poète et peintre et principal fondateur/animateur du mouvement Cobra) se présente sous la forme d'un roman à la 1ère personne mais de nombreux passages reproduisent en fait le monologue intérieur du narrateur. L'histoire est simple, presque banale, mais Dotremont dit, avec des phrases en apparence anodine aux tournures parfois proches du langage parlé, des choses très profondes sur la vie et le rapport au monde.

Le narrateur est un jeune homme (sans doute Dotremont se mettant en scène à moins qu'il ne s'agisse plus simplement d'un récit autobiographique) qui s'est rendu à Copenhague pour retrouver une jeune Danoise (Ulla) qu'il a rencontrée à Paris, tandis qu'elle travaillait au pair. Leur relation est ambiguë et pleine de non-dit. Le narrateur, qui vient d'apprendre qu'il était atteint de la tuberculose, avec une perforation au poumon, rentre à Paris, sans s'être décidé à se soigner. Il prépare la venue d'Ulla, qui souhaite revenir à Paris pour y travailler à nouveau au pair. Leurs retrouvailles sont joyeuses mais le narrateur a le sentiment permanent d'être pris au piège dans une catastrophe générale et invisible, qui englue l'humanité toute entière... Lorsqu'il se met à cracher du sang, il repart au Danemark pour être interné dans un sanatorium. Quelques semaines plus tard, Ulla retourne au Danemark et vient le visiter tous les jours. Lui-même, de temps en temps, s'absente de sa chambre pour visiter Ulla, qui loue un meublé. Ils décident, sans vraiment se l'être dit, de partir ensemble mais une lettre, comme un accessoire de la catastrophe, va provoquer leur séparation.

Au-delà de l'histoire, dont la trame est en apparence simple comme un mélodrame, le roman mérite d'être lu pour son écriture, extrêmement naturelle et spontanée et riche d'anecdotes et d'apartés (très rapides et jamais didactiques) sur l'ambiance politique et littéraire de l'après-guerre. Mais, surtout, il vaut pour son atmosphère à la fois sombre et désabusée : le narrateur exprime, avec une clairvoyance teintée d'ironie, les faux-semblants de la société et des individus, et la fausseté de leur rapport au monde. Dotremont semble penser que le monde n'est que la scène d'une vaste catastrophe généralisée : toute démarche est vouée à l'échec car nous nous mentons sans cesse à nous-même et tout ce en quoi nous croyons ou croyons croire (la littérature, les idées politiques, les valeurs spirituelles, l'amour, etc.) ne sont en fait que des ersatz ou des masques de la catastrophe...