Les jupiters chauds
de Elisa Brune

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 6 octobre 2002
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Univers : embarquement immédiat!
Et voilà, encore un coup de maître de la part d'Elisa Brune, belge de surcroît!
Tous les ingrédients de son roman fondent sous notre langue, laissant un arrière goût tantôt sucré, tantôt amer.
Un roman à trois tiroirs qui rivalisent en intérêt.

Il y a d’abord le versant scientifique de l'histoire.
Vincent, à 32 ans, décide d’opérer un virage à 180¡ : il quitte une fonction qui le laissait sur sa faim pour se lancer à corps perdu dans une spécialisation d’un an en astronomie.
Il entame ensuite un doctorat qui l’amènera à voyager pour des colloques (à Tenerife) ou pour des « stages » (au Chili, au Colorado).
Elisa Brune (docteur en sciences de l'environnement, journaliste scientifique) sait manifestement de quoi elle parle et a le don de parsemer son récit de données scientifiques précises, de développements même, en ne prenant le lecteur ni pour un imbécile, ni pour un spécialiste.
Le dosage est parfait.
Ensuite, il y a le volet social.
Sophie, la compagne de Vincent, contente qu’il ait enfin « trouvé sa voie », le regarde néanmoins d’un œil dubitatif.
La tête dans les étoiles, on peut dire qu'il l’a, notre Vincent, un peu trop même.
Ses voyages sont de plus en plus longs et le feu des retrouvailles avec Sophie ne dure qu'un instant…
et ne fait pas le poids : quelle exaltation que de rencontrer de grands astronomes qu’on admire, de manipuler des télescopes géants, de pressentir que LA grande découverte est là, cachée quelque part dans l'analyse des données.
A trop regarder les planètes, on risque de plus avoir les pieds sur terre, de ne plus parler le même langage que nos proches, qui d'ailleurs ne le sont plus tant, proches…
De l'éblouissement à l'aveuglement, il n'y a qu’un pas.
Mais ce livre perdrait une portée essentielle sans le troisième pan : les considérations philosophiques.
Tout le talent de l'auteur se déploie lorsqu’elle tire du plus anodin des événements quotidiens la substance qui lui servira de point de départ à un raisonnement philosophique sur la réalité.
C’est de la philosophie appliquée, en quelque sorte.
Mais c'est drôlement bien observé, et toujours exposé intelligemment.
Elisa Brune procède plutôt par constatations et par questions, elle évite les déclarations péremptoires à l'emporte-pièce.
Un roman à trois dimensions, donc.
Quoi de mieux pour parler de l'Univers, pour communiquer au lecteur l’enthousiasme des astronomes confrontés à son mystère ?
Et en plus, c’est bourré d'humour !
L'écriture est fluide, chaque mot est à sa place, la constellation brille par son équilibre.
L'astronomie dans tous ses états 8 étoiles

A la fois, une histoire de couple, une histoire d'astronomes et des anecdotes savoureuses sur les comportements humains au gré des pays visités.
"Tout est deux fois plus grand que ce qu’on vend chez nous. Les paquets de chips ont la taille d’un oreiller, les bouteilles de coca sont de véritables bidons, et les pots de crème glacée, carrément des seaux.(…) Si les aliments se vendent par quantités industrielles, ce n'est pas parce que les couples américains ont six enfants, mais parce qu'ils ont six fois notre estomac".
On en apprend des choses sur le métier de chercheur –mais n'est-ce pas identique dans les autres métiers ? - Il faut pouvoir se remettre en question si on veut rester compétitif ou même tout simplement rester compétent. Pourquoi les chercheurs ne trouvent-ils rien ? Parce que pour se sentir en sécurité, ils cherchent la même chose. Ils sont fiers d’avoir recueillis les bases de données les plus complètes possibles, mais ils ont beau les regarder dans tous les sens, aucune planète nouvelle ne montre le bout de son nez… Et soudain, ahurissement ! Un petit Suisse qui ne concourrait même pas avec eux les coiffe au pilori avec sa nouvelle planète PEG machin chouette !. L’explication est paradoxale, c’est parce qu'il ne cherchait pas de planète que le petit Suisse cloue le bec aux Américains, trop sûrs d'eux. "C'est ainsi que la science progresse parfois, de hasard en coup de théâtre, redistribuant quotidiennement la frustration et la gloire".
L’auteur est journaliste scientifique, a l'habitude d’assister à des congrès internationaux, a bien croqué les caractéristiques des conférenciers en fonction des nationalités.
"Cela n'étonne personne que les Américains, lors de ces colloques, soient les plus impressionnants. Ayant intégré dès le berceau les techniques du show-business - est-ce une prouesse du système éducatif, un patrimoine génétique ou une osmose télévisuelle ? - ils livrent des prestations nécessairement impeccables. Même si d’aventure le contenu de leur exposé est lamentable, ils arrivent encore à en imposer, embobinant leur auditoire avec cette petite dose d’humour qui met tout le monde dans de bonnes dispositions, en terminant par une conclusion magistrale, s’ils ont des résultats, et à peine moins magistrale s'ils n'en ont pas.
(..) Les Français et les Espagnols procèdent d'un autre univers.(..) Clairement ils se surpassent plutôt le soir, autour d'un verre.
(..)Quant au Russe, son discours horriblement hésitant et haché ressemblait au parcours d’une enfant qui apprend à marcher. Sa piètre maîtrise de l’anglais le faisait passer pour le Gaston de la conférence.(..) Il alla même jusqu’à superposer deux transparents en essayant d'expliquer le schéma du second à travers le premier !"...
Ce qui m’a le moins plu, c’est l’histoire de couple.
Le héros, Vincent, astronome de son état, parcourt le monde, de Ténériffe au Colorado, en passant par le Chili, fourre son nez dans les étoiles, se fait piquer sa copine, Sophie, par son frère, François, un doux rêveur qui vit au jour le jour, cultive des légumes bio et crache sur tout ce qui s'appelle "système". Notre astronome, trompé, s'en veut de cet immense gâchis, persuadé que son couple aurait pu être sauvé s'il n’avait pas laissé sa dulcinée seule aussi longtemps.
Mais finalement, qu'est ce qui les retenait ensemble, à part le sexe ? Rien, absolument rien. Les quelques scènes érotiques qui émaillent le livre, auraient pu laisser présager qu'un ménage à trois était prévisible… Porno soft, oui, mais à deux et à chacun son tour... Ouf ! La morale est sauve !

Darius - Bruxelles - - ans - 18 décembre 2002


Chaud devant ! 9 étoiles

Oui, ce livre est passionnant. Voilà un auteur qui ne manque pas de qualités. A celles que relève SGDP, j'ajouterai une parfaite connaissance de l'homme. A tel point que je me demande parfois si ce n'est pas mon propre portrait qu'elle fait là. Mon aversion pour le bricolage et pour la tonte du gazon, pour l'ordre méthodique, pour les réalités ménagères... Récemment pris en défaut par mon épouse, je lui ai cité le passage où il est question d'une minuterie (j'avais ouvert un paquet de lingettes avec des ciseaux alors qu'il faut tirer sur la languette, là où on voit une - toute petite - flèche). Cela a détendu l'atmosphère. Reste à appliquer le coup de la lampe de poche et celui de la table de cuisine. Mais je renoncerai au dernier, car ma chère et tendre est capable de me faire nettoyer le plafond. Ah, nous sommes de grands rêveurs, nous les hommes ! Et il arrive que la réalité, comme le temps, on ne la voie pas passer. Tout ceci n'est qu'une approche très superficielle d'un livre dont SGDP a souligné la véritable profondeur. On voit qu'à quelque degré qu'on les prenne, ces "Jupiters chauds" sont une délectation. Avec des effets de lentille qui font miroir.Nous ignorons beaucoup de l'infini qui nous entoure. Et ce qui nous est proche nous échappe. Quant à plonger dans les abysses de notre moi...Au fond, nous avons besoin de chaleur plus que de connaissance. Nous sommes des étoiles et nous avons nos soleils.

Persée - La Louvière - 73 ans - 23 novembre 2002


Je ne connais ni l'un, ni l'autre... 9 étoiles

Ni Elisa Brune, ni "Les Jupiters chauds", mais avec une si belle critique je sens que je vais m'y mettre et vite fait !... La cote est pour la critique mais je m'attends à en donner une aussi bonne au livre très bientôt...

Jules - Bruxelles - 80 ans - 7 octobre 2002