Le lignage du serpent
de Muriel Cerf

critiqué par Catinus, le 28 mai 2012
(Liège - 73 ans)


La note:  étoiles
Poésie hallucinée



Personnages hauts en couleurs que cette famille Morillon, Périgourdine. Commençons par la fin. La narratrice, Emma et son frère jumeau Balthazar – à pointer leur voyage utérin ! - ; l’autre frère Simon, creuseur de trous, archéologue. La mère, Louise, dite Bouzine, comédienne entre autres ; le grand-père Jules grand jardinier devant les Eternels – à pointer un véritable cours de botanique ! – Et le père des trois enfants, Geza Lazarus, homme de théâtre, mort tout aussi accidentellement que tragiquement durant la guerre – je ne vous décris pas la scène ! - . Plus tard, arrivée de Benguigui, stomatologue de son état avec à sa suite ses quatre filles – tout ce beau monde honni par les trois autres mômes ! –

Tout cela n’étant que prétexte pour donner libre cours à la poésie hallucinée de Muriel Cerf – n’y a-t-il pas, quelque part, mimétisme issu des plumes de Saint-John Perse, Mallarmé, Baudelaire, Rimbaud, … ? –

Mythologies toujours omniprésentes. Attention : munissez-vous d’un dictionnaire ou faites comme bibi : ayez le réflexe internet, branché par exemple sur « l’internaute » ou « wikipédia ». Tout devient plus ludique encore. Et puis, miracle !, on en ressort avec le sentiment d’être devenu plus intelligent, ce qui n’est pas rien ! Mais également un tantinet frustré, rapport à tous les passages qui nous sont passés sous le nez tant cela ressemble furieusement à de l’ésotérisme. Mais c’est tellement beau. Il conviendrait, sans aucun doute, de déclamer ce texte puisqu’il est poésie. Ou musical – définition de musique : son agréable à l’oreille ! -
En outre, l’auteur de « L’Antivoyage « ne manque pas d’humour. Mais exclusivement noir. De chez Noir !

Elle m’épate ! ! !


Extraits :

- ( …) la raison d’Armand Becu qui, éconduit, se pendit dans le grenier des Bécu à une poutre dont on le décrocha tout tressautant alors qu’il venait de renverser d’une ruade le sceau hygiénique sur lequel il avait grimpé pour accomplir son acte fatal, le premier d’une série (…)

- Voila, il est dehors le zizi, ça doit faire le sixième que je vois, long calvaire que la vie des petites filles. Tiens, pas circoncis celui-là, celui de Balthazar est mieux, au moins maintenant je distingue les Juifs des autres. Vraiment vilain, ce truc. S’il me demande de toucher, je refuse, même au cas où il me promet de faire pipi sur les immortelles de Léontine.

- Pour que tu ne me quittes jamais, Balthazar, mon frère, je glisserai treize allumettes et autant de grains de sel dans une enveloppe que j’enflammerai en prononçant trois fois ton nom
je te nourrirai de corail d’oursin, de noix de cola, de cantharide, de pollen, d’herbe à satyre et de yohimbine
j’appliquerai de ma main gauche un peu de ton sperme sur mon pied droit
je frotterai ton sexe au camphre et au vif argent broyé, je l’enduirai de graine d’anis et de fiel de chacal
je mêlerai à ta boisson de la poudre de lotus bleu, du jus de mandragore, du suc de pavit et d’eau herculéenne
je porterai sur ma peau nue un reliquaire contenant les rognures de tes ongles et les restes d’un milan mort de mort naturelle
j’irai au cimetière, la huitième nuit de la quinzaine lumineuse de septembre déterrer les crânes, les chauffer à la flamme d’un foyer allumé avec le bois des croix et farder mes paupières de la suie tombée de leurs orbites vides
je dissoudrai dans le sang d’un pigeon blanc de la poudre diamantine dont j’emplirai le cœur d’une figue que je cacherai toute une nuit sous mon oreiller
et, pour que tu n’aies pas d’autre maîtresse que moi, je grimperai sur les rochers du Karakorum pour y recueillir l’exsudat qui suinte des pierres et rend les aigles fous
enfin, si tu t’en vas, je brulerai les pousses de la plante vajnasunhi et quand, me plaçant derrière le feu, je verrai monter au ciel une lune d’or sans alliage, je saurai qu’est venu le moment du départ.