Johnny chien méchant
de Emmanuel Dongala

critiqué par Prozac, le 19 octobre 2002
(IDF - 48 ans)


La note:  étoiles
Une Afrique ravagée par des guerres absurdes
C'est un sujet d’actualité dont a choisi de nous parler le congolais Emmanuel DONGALA. Nous voyons ces images chaque jour sur le poste de télévision, l'horreur des guerres absurdes menées dans les pays d'Afrique ou d’ailleurs. Mais les mots d’Emmanuel DONGALA nous atteignent et nous font prendre conscience de la cruauté de ces petits combats vulgarisés, banalisés sur nos écrans.
Johnny Chien Méchant est un livre très fort, très bien écrit. De chapitre en chapitre se déroulent successivement les aventures de deux gamins, victimes ou faiseurs de guerre. L’un Johnny se bat, vol, viole, pille. Laokolé tente de fuir son village en poussant sa mère handicapée dans une brouette. Chacun raconte son histoire. Parfois ils se croisent et racontent les mêmes faits, le meurtre d’un enfant, arrivée dans le camp des casques bleus, homme fuyant avec un cochon sur le porte bagage de sa bicyclette, mais avec une vérité différente, nuancée.
Le ton de Johnny est naïf, il est stupide pourtant il pense être un intellectuel. « Mais comme j'étais intellectuel je savais ce qu’était l’ONU, ouais j'avais entendu parler de cette organisation et de ses soldats. Ces derniers étaient neutres, ils ne faisaient pas la guerre, ils maintenaient la paix. Mais quand ça chauffait et que leur vie était menacée ou si tout simplement ils croyaient qu’elle était en danger, ils fuyaient et vous laissaient tout seuls dans votre merde. » page 152. Mais le personnage parfois dit juste. Il est drôle et attachant même s’il est tueur. Il comprend les choses à sa manière et cela est parfois en décalage avec la réalité.
Laokolé est très attachante, intelligente, beaucoup d'émotions se dégage de ce personnage. « L’humanité est tombée bien bas. De toute façon, il fallait être bien naïve pour croire que le monde était bon, que le monde était beau. Je m'en voulais de n'avoir pas encore appris, malgré tout ce que j'avais traversé, que la confiance c’est bien mais que c’était mieux d’attacher sa brouette comme un caravanier attache son chameau dans le désert bien que sachant qu’il n'y a personne d’autre que lui à mille lieues à la ronde .» page 187.
Ce livre nous montre également l'organisation de l'ONU, la nécessité des médias, la gourmandise du chef du pays qui pense davantage à l’argent, au pétrole et aux diamants qu’à ses citoyens, aux problèmes du racisme.
Ce livre est celui des adolescents vieillis trop rapidement par des guerres absurdes. Ce livre devrait marquer les mémoires.
« Notre pays de merde venait encore une fois de plus de tuer un de ses enfants. J’ai sangloté sans retenue, avec de violents soubresauts et des hoquets sonores, maintenant que les miliciens avaient disparu là-bas, dans la poussière du chemin. Maman a essayé de me calmer et de me consoler, mais j'ai continué à pleurer. Je ne sais pas si je pleurais mon amie ou cet enfant que je ne connaissais pas. Je pense que je pleurais les deux. Quel est ce pays qui tuait de sang-froid ses enfants ? Comment peut-on tuer la meilleure amie de quelqu'un ? Vraiment les gens sont méchant, ils n’ont pas de coeur. » page 70.
Une guérilla en Afrique comme si vous y étiez... 9 étoiles

Un coup d'état au Congo comme si vous y étiez à travers le quotidien de deux personnages que tout oppose : un milicien, Johnny, et une jeune fille qui se retrouve prise au piège dans cette guérilla et qui tente de s'en sortir avec les moyens du bord.
Action, suspense, information : tout est là pour un roman réussi... et vous ne regarderez plus jamais les actualités de la même façon ensuite !

Bigoodi - - 57 ans - 14 février 2009


Deux récits saisissants : l'un d'effroi, l'autre de courage 10 étoiles

Des guerres civiles africaines, les médias occidentaux nous donnent des aperçus brefs dans l’actualité, commentant de temps à autre un élément particulier dans ce qui semble, bien malheureusement, être devenu un fait routinier. Combats par çi, exode de population par là, visite d’un camp de réfugiés du HCR de tel ministre européen un jour, coup d’état d’un nouveau président autoproclamé le lendemain. Jamais, jusqu’à la lecture de ce formidable roman d’Emmanuel Dongala, les conflits civils opposants des clans ethniques d’un même pays n’avaient été si palpables, si réels.

Laokolé et Chien Méchant ont tous deux seize ans, et vivent dans un Congo en proie à une terrible guerre civile. La première fuit sur les routes avec sa mère, amputée des deux jambes, qu’elle transporte dans une brouette, son petit frère à ses côtés. Fille d’un maçon tué par la milice, elle fuit la ville, les zones de combat et les miliciens avec ce qu’elle a de plus cher : sa mère, son frère, un peu d’argent, une photo de ses parents, quelques biens qu’elle porte sur son dos.

Johnny, lui, s’est enrôlé dans la milice, et s’est placé sous les ordres du “général” Giap, surnom de guerre qu’il est fier de lui avoir trouvé. Armé jusqu’aux dents, il patrouille avec ses hommes afin de démasquer les Tchétchènes qui se cachent dans la population civile, et qui sont des terroristes soutenant l’ancien président. Donc une menace à abattre. En parcourant les rues, ils abattent les hommes, violent les femmes, pillent les maisons. Avec ses gri-gri sur le torse, Johnny se sent protégé. Lui qui rêve de devenir intellectuel doit trouver un nom de guerre à la hauteur de ses ambitions : se sera Chien Méchant.

De leurs deux récits en parallèles, qui parfois se croisent, Laokolé et Johnny donneront une image de la guerre vécue de l’intérieur. D’un côté, la guerre vue comme un grand jeu, sans règles, sans encadrement, avec ses plaisirs immédiats comme le droit de mort, le viol, ou encore la possession d’objets volés qu’ils sont fiers d’exhiber. De l’autre, un courage exemplaire, une force surprenante dévouée à la survie, capable de faire face au pire sans perdre aplomb, qui malgré tout restera debout.

C’est une oeuvre sensiblement brillante que ce roman, une lecture qui perturbe, qui interroge le lecteur, et qui réussit, sans jamais juger les attitudes occidentales absurdes, à nous ouvrir les yeux sur une réalité vécue trop souvent par l’intermédiaire d’un écran télévisé. Une plongée édifiante dans la guerre civile, ses aberrations, sa cruauté, qui nous montre la force de vivre d’un peuple qui, malgré tout, garde l’espoir d’un jour meilleur. Tout simplement saisissant.

BONNEAU Brice - Paris - 40 ans - 21 novembre 2008