Le Labyrinthe du monde, tome 1 : Souvenirs pieux
de Marguerite Yourcenar

critiqué par Myrco, le 3 juin 2012
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
Une Yourcenar attachante...à la recherche de ses origines.
Marguerite Yourcenar tente là une exploration de la branche maternelle de sa généalogie, branche qui, a priori, lui était assez étrangère puisqu'elle n'a pas connu sa mère, née Cartier de Marchienne, morte de fièvre puerpérale quelques jours seulement après sa naissance.

A partir d'informations très parcellaires glanées ici et là, de sources diverses, elle tente de reconstituer l'histoire de cette lignée de petits aristocrates, de donner chair à ces ancêtres dont elle est issue et dans lesquels elle se cherche et ne se reconnait pas, de broder dans les blancs des hypothèses crédibles. . .
Elle nous fait ainsi remonter cette lignée de "propriétaires terriens, gens de guerre et gens d'église" jusqu'au XIVème siècle, occasion d'incursions dans un lointain passé historique qu'elle affectionne.
"Il n'y aurait presque aucun intérêt à évoquer l'histoire d'une famille si celle-ci n'était pour nous une fenêtre ouverte sur l'histoire d'un petit Etat de l'ancienne Europe" (en l'occurrence ici la principauté ecclésiastique de Liège relevant alors du St Empire). Certes, sauf que notre culture (tout au moins la mienne) étant loin d'égaler celle , éblouissante, de Marguerite Yourcenar, ces quelques incursions s'avèrent trop fugaces pour que nous en retirions un enrichissement réel de nos connaissances.
J'avoue m'être souvent ennuyée à cette lecture parfois fastidieuse qui réserve néanmoins une surprise: quelques pages sur St Just qui valent le détour.
Plus tard, elle nous livre un regard sur l'évolution de cette féodalité qui finira par se fondre dans la haute bourgeoisie du commerce, de l'industrie et des puissances d'argent.
L'évocation de ses grands-parents Arthur et Mathilde et consorts, lui permettra de brosser un portrait sans concession mais non sans saveur et ironie de ces milieux "rassis", étriqués, de la seconde moitié du XIXème, catholiques bien pensants-surtout les femmes, confites en dévotion-où règnent conventions et discrimination sociale.

Dans un long chapitre qui leur est entièrement consacré, elle s'attarde sur le destin de ses grands-oncles, l'écrivain Octave Pirmez et son frère Remo, idéaliste épris de justice. Probablement a-t-elle tenu par devoir de descendance sinon à rendre hommage, du moins à servir la notoriété de cet Octave Pirmez, personnalité contrastée "qui fut chronologiquement le premier essayiste de la Belgique du XIXème siècle. "
Il est vrai que ce dernier, par ses écrits, lui offrait plus de matière à nourrir les siens propres. Sans doute est-ce aussi, avec ces deux-là, qu'elle partage enfin quelques points communs: une culture, une profondeur de pensée et, avec Octave, une compassion pour le vivant qui nous vaut quelques belles pages vers la fin du chapitre en question.
Mais là encore, rien de bien captivant dans l'ensemble et peu nous importent finalement les considérations sur le style d'un auteur mineur dont la notoriété ne lui a guère survécu.

Le seul véritable intérêt de l'ouvrage réside-à mon sens-dans ce qu'il nous révèle ici et là de la personnalité et des opinions de l'auteure.
Nous la découvrons malthusienne (opinion qu'il n'est pas possible aujourd'hui d'exprimer sans subir les foudres du "politiquement correct"), écologiste, dénonçant "le cycle de la production forcenée et de la consommation imbécile", portant sur l'évolution du monde un regard lucide, amer et désabusé et lui prophétisant un sombre avenir:
"la brutalité, l'avidité, l'indifférence aux maux d'autrui, la folie et la bêtise régnaient plus que jamais sur le monde, multipliées par la prolifération de l'espèce humaine et munies pour la première fois des outils de la destruction finale"
"la présente crise se résoudrait peut-être (. . . ) d'autres viendraient , chacune aggravée par les séquelles des crises précédentes: l'inévitable a déjà commencé (. . . ) la fermeture du tout"
Mais plus encore, j'ai découvert avec bonheur -battant en brèche tous mes a priori- un être d'une extrême pudeur, qui tend toujours à faire passer son ego à l'arrière-plan comme en témoigne cette remarquable ouverture:"L'être que j'appelle moi vint au monde un certain lundi 8 juin 1903", une femme remplie de compassion pour l'animal, l'humanité souffrante et exploitée, une grande sensibilité au vivant en général, que je ne soupçonnais pas, bref quelqu'un d'attachant en somme.
Une fidélité austère à ses racines 7 étoiles

Cette éminente auteure se retourne sur ses origines, celle des deux branches familiales dont elle est issue. Son origine bi-nationale, franco-belge, et la perte de sa mère qu'elle n'a pas pu connaître font partie des causes. Sont ici dépeints des univers austères, avec émotion et lucidité mêlées. L'importance de la religion, de l'attachement à la terre, à l'environnement, aux traditions, aux habitudes familiales, de la morale, voire de l'idéalisme, parfois, en effet, s'avère assez forte. Elle remonte assez loin dans le temps, pour piocher les éléments historiques et sociologiques d'explications du fonctionnement de ces deux familles qui se sont croisées par la rencontre de ses deux parents.

Cette saga familiale n'est pas sans intérêt, fait prendre conscience de la réalité de mondes, de leur époque et de leur environnement. Peu d'humour en transpire, peu de respiration aussi. Cet ouvrage reste assez austère, et les descriptions sont opérées avec minutie, précision et moult détails. Un tantinet réfrigérant, parfois ingrat, ce livre apprend des choses. Il ne séduit pas, mais arrive à émouvoir à sa manière.

Veneziano - Paris - 47 ans - 10 mai 2014