Une femme saccagée

Theodor Fontane n’est venu au roman qu’à 57 ans et il est souvent qualifié d’écrivain réaliste et raisonnable. C’est toutefois sans complaisance qu’il décrit la société prussienne de son temps, en pleine mutation dominatrice.

Dans un contexte daté, la fin du dix-neuvième siècle, géographiquement situé, essentiellement la petite ville de Kessin proche de la Baltique, « Effi Briest » est l’histoire d’un malentendu. A signaler le grand intérêt des notes du traducteur qui permettent au lecteur peu familier de la Prusse d’alors de disposer des informations nécessaires à une bonne compréhension.

A l’âge où les jeunes filles grimpent encore aux arbres et font de la balançoire, leurs mères recherchent le meilleur parti, les fiancent en quelques minutes, les marient en quelques mois. Ainsi sera le sort d’Effi impétueuse, proche d’une mère aimante, autoritaire et soucieuse des intérêts de sa fille, jolie, bien éduquée quoique sans vraie culture, insouciante et heureuse. On la marie à un haut fonctionnaire bien de sa personne, ambitieux et brillant, pondéré, aimable et bon, qui « en toute chose garde la mesure ». Elle a 17 ans, il en a 38. Il est séduit, elle est surprise.

Avec beaucoup de subtilité, Fontane distille les petits faits, les petites déceptions, les petites incompréhensions qui sont autant d’alertes dans un voyage de noces traditionnel. Puis ils rejoignent Kessin où les bigots le disputent aux insignifiants pour les observer avant de les jauger puis les juger. Ainsi Effie est dite « atteinte de rationalisme » ! Tout ceci est futile, ennuyeux au possible. Cette volonté de paraître est bien éloignée de la noblesse des vrais hobereaux prussiens dont les valeurs qui ont fait la puissance de l’Allemagne se sont dégradées en conventions, voire en convenances.

Une histoire de fantômes impressionne la jeune femme là où son mari ne voit que peccadilles. Elle vit dans « une sensation de solitude » qui devient vite de l’ennui. Elle prend conscience de ce qui lui « manque dans le mariage : les hommages, les encouragements, les menues attentions. Son mari était aimable et bon mais ce n’était pas un amant. » L’incompréhension va être d’autant plus forte qu’il a le sentiment d’aimer Effie et a par conséquent la conscience tranquille. Il advient ce qui devait advenir avec un militaire, « homme à femmes qui a de l’humour et l’esprit libre ».

Fontane ne nous raconte jamais comment ils deviennent amants. Il n’y a pas dans « Effie Briest » les scènes que l’on trouve dans « madame Bovary » auquel on l’a comparé et qui valurent à Flaubert le procès que l’on sait. Fontane, craignant probablement lui aussi la puissante censure, a écrit un roman de sous-entendus et non dits, perceptibles malgré les très nombreux dialogues, Il ne raconte pas mais lorsque le mot de honte revient si souvent, le lecteur a compris.

« Effi Briest » est un beau portrait de femme adultère que son milieu, son éducation, ses préjugés vont détruire. Elle considère qu’elle doit déchoir puisqu’elle a « fauté » .En fait la suite de l’histoire est plus complexe qu’on peut l’imaginer et c’est ce qui en fait un de ses charmes. Le comportement du mari, l’incapacité d’Effie à vivre une grande passion sont autant d’éléments qui donnent à ce roman son originalité et sa force. Car Fontane, le sage, devient moraliste quand il plaint les victimes de la société qui ne savent pas affronter, par faiblesse de caractère, ambition ou rigidité de principes, la vie telle qu’elle est. De là ce malentendu inexorable, désolant et stupide.

Un bon roman qui est aussi le beau portrait d’une femme saccagée par son milieu.

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  Effi Briest [Texte imprimé] Theodor Fontane trad. de l'allemand par André Coeuroy préf. de Joseph Rovan

  de Fontane, Theodor Rovan, Joseph (Préfacier) Coeuroy, André (Traducteur)
  Gallimard / Collection L'Imaginaire
  ISBN : 9782070762132 ; 10,50 € ; 28/03/2001 ; 346 p. ; Poche

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