L'homme n'est pas la mesure de l'homme de Xavier Emmanuelli

L'homme n'est pas la mesure de l'homme de Xavier Emmanuelli

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Spiritualités

Critiqué par Persée, le 2 novembre 2002 (La Louvière, Inscrit le 29 juin 2001, 73 ans)
La note : 7 étoiles
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Le renard qui passe

Le hasard des lectures, tout de même ! Voilà que je retrouve le renard du Petit Prince dans les deux derniers bouquins que je viens de lire : "Recyclages" de Daniel Charneux et celui-ci. "Si tu veux un ami, apprivoise-moi", dit le renard. Apprivoiser, c'est créer des liens. Alors, je me laisse apprivoiser deux minutes.
"Sans transcendance, pas de sens et sans sens, pas de société possible, même si la modernité a fait de grands efforts pour s'en passer". Pour Emmanuelli, fondateur de Médecins sans Frontières et du Samu social de Paris, notre société souffre du syndrome du mille-feuille : elle étouffe sous la pile des lois et des règlements (ce n'est pas moi qui le contredirai). Ce faisant, elle se déshumanise, substituant la raison raisonnante au cœur. Elle exclut. Après avoir signé, comme Faust, un marché de dupes avec le diable, entendez : la technique, la science présentées comme unique espérance de salut.
Par des anecdotes poignantes extraites de son vécu, l'auteur nous fait part de ses doutes et de la foi qui les a balayés : "A l'homme de renverser la loi naturelle, la prédation ; à lui de créer Dieu" (l'image d'un Dieu qui se crée ou se détruit chaque jour au fil de nos actes, un peu comme un château de sable qu'il faut reconstruire à chaque marée, moi, j'aime assez). Cette création passe par l'autre, les autres. Quoi de plus autre que l'exclu ?
L'exclusion ne s'identifie pas à la pauvreté, elle tient dans le mépris de l'autre, quand la société, sacrifiant la compassion au droit, se réfugie derrière son guichet à hygiaphone pour couler la détresse dans un formulaire. Car tous ceux qu'elle enfermait hier à double tour, elle les a libérés. Maintenant, ils sont enfermés dehors. La solidarité oui. La fraternité, non. Trop dur !
La fraternité à l'égard des exclus nécessite, il est vrai, tout un travail d'approche. Rejeté par la société, le SDF la rejette à son tour. Vous n'êtes pas son ami. Vous ne vivez pas dans le même espace que lui (vous détournez les yeux : vous ne le voyez pas). Vous ne vivez pas dans le même temps que lui (vous n'avez pas le temps, pour lui le temps s'est arrêté). Il est le renard qui dit au Petit Prince "apprivoise-moi", tisse patiemment ce lien qui me rendra un peu de ma dignité d'homme.
Le combat d'Emmanuelli ne peut qu'émouvoir. L'expérience d'un homme qui a consacré sa vie aux démunis ne peut qu'être riche de sens. Elle mérite le respect, à défaut de l'adhésion totale. Qu'il voie la main de Dieu dans cette démarche fraternelle vers l'autre, c'est son affaire, son carburant vital (et il a dû en consommer quelques pleins).
On peut cependant imaginer une fraternité sans Dieu (une fraternité d'orphelins ?). Car la transcendance, étymologiquement, c'est "aller au-delà", "aller plus loin", se "sur-passer". Autrement dit, rien d'autre que "faire un pas de plus". Un pas de plus vers l'autre. Alors, avec ou sans Dieu, cette fraternité-là reste à la mesure de l'homme. Les chrétiens n'ont pas plus le monopole du cœur que les athées, celui de la raison. Après tout, l'amour est à tout le monde. Dans toutes les guerres, le courage se retrouve dans chaque camp. Le temps de paix aussi a ses lignes de front. Emmanuelli nous les montre. Evidemment, sans baïonnettes dans le dos, on rechigne.

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