La Crypte des capucins
de Joseph Roth

critiqué par Chene, le 29 août 2012
(Tours - 54 ans)


La note: étoiles
La mort d’un immense Empire multiculturel
La crypte des capucins se trouve à Vienne sous une petite église qui ne paye pas de mine. Elle est gardée par des moines. En y descendant son large escalier dans l’obscurité on y découvre les gisants de pas moins d'une quinzaine d’Empereurs et d’Impératrice ayant régné sur le vaste empire Austro-Hongrois. De la maison des Habsbourg depuis 1633 famille ayant régné sur le saint Empire romain germanique et sur l'Autriche, la Hongrie et la Bohème jusqu’à François Joseph décédé en 1916.
Sorte de suite de « la marche de Radetzky », roman fleuve qui se terminait par l’assassinat du prince héritier et le déclenchement de la guerre de 14-18, la crypte des capucins commence juste avant la guerre. Le narrateur appelé François Ferdinand est un coussin des « Trotta » (on suit la famille Trotta sur trois générations dans la marche de Radetzky). François Ferdinand Trotta riche bourgeois de Vienne bénéficie d’une vie insouciante, vivant la nuit avec ses amis, allant de bals en concerts accompagnés d’amourettes de passages. Puis vint la guerre et la mobilisation. François Ferdinand à la recherche de ses origines Slovène demande a être affecté dans un régiment de paysans et d’artisans en Galicie Orientale, limite extrême de l’empire face aux cosaques. François Ferdinand sera fait prisonnier par les Russes et sera envoyé dans un camp en Sibérie. A son retour à Vienne, il retrouve sa mère vieillie, sa femme sous influence d’une autre femme artiste (est évoquée ici l’homosexualité féminine) et un empire disparu. Un monde nouveau totalement différent est en train de naître. Monde dans lequel François Ferdinand ne se reconnaît pas (la monté du nazisme). Il se rend auprès de l’ancienne Autriche dans la crypte des capucins où dort ses d’empereurs oubliés.
Joseph Roth nous décrit la fin d’un monde, celui du vaste empire Austro-Hongrois qui s’est écroulé après la mort de l’Empereur François Joseph et surtout après la défaite de la première guerre mondiale. Pour Joseph Roth, intellectuel Autrichien d’origine juive, c’était un empire multiculturel comprenant différentes langues et peuples (Hongrois, Slaves, Allemands, Tchèques, Croates, Serbes, Bosniaques, Italiens, Slovènes…). L'Autriche et Vienne sa somptueuse capitale était alors un État supra national où l’on pouvait être différents, être autrichien et citoyen du monde. Vienne était la capitale des arts tout comme Paris, elle comprenait de nombreux artistes et intellectuels qui se retrouvaient dans les cafés pour jouer aux échecs : « j’ai perdu mon pays. J’appartiens à une époque, en apparence enseveli où l’on trouvait tout naturel qu’un peuple fut gouverné parce qu'il ne pouvait pas se gouverner lui même sans précisément cesser d’être un peuple ».
Moins profond que la marche de Radetzky, écrit à la première personne du singulier, ce roman semble plus confidentiel et passe pour une sorte de confession de Joseph Roth sur son époque et sur la nostalgie qu'il éprouve à propos de l’ancien l’empire austro-hongrois, empire fragile en raison de sa trop grande diversité et déjà oublié mais bien plus tolérant que ce qui viendra après : la nazisme. Face à la montée du nazisme, Joseph Roth sera contraint de s’exiler à Paris en 1933. Il décédera en 1939 à l’âge de 45 ans laissant une immense œuvre littéraire derrière lui.
La crypte des capucins est un de ces ouvrages que les nazis brûleront en 1933 lors de leurs fameux autodafés en place publique car contraire à « l’esprit allemand » selon eux.
L'effacement d'un Empire ... 10 étoiles

Ce roman peut se lire de manière autonome même s'il continue le chef-d'oeuvre "La Marche de Radetzky". Dans cette oeuvre le lecteur suit un autre membre de cette famille que l'on a suivie sur plusieurs générations, un cousin. Le roman couvre la période commençant par la première guerre mondiale jusqu'à la montée du nazisme. Je ne reviens pas sur le résumé, Chene l'a fait clairement.

Ce roman décrit un monde qui disparaît progressivement, cet empire austro-hongrois tout-puissant qui perd de sa force et de son prestige. L'Histoire se mêle à l'histoire des Trotta, des bourgeois qui sont sur le point de perdre ce confort matériel. Joseph Roth est un excellent conteur et il parvient à donner de la force aux épisodes narrés. La demande en mariage, le retour auprès de la mère après la guerre, les discussions avec les amis sont très bien rendus. Certains passages sont touchants, pleins d'humanité et évoqués avec pudeur. Toutes les scènes sont d'une justesse incroyable. Cet empire s'effondre comme cette famille qui s'éloigne de plus en plus du héros de Solférino dont elle pouvait tirer sa gloire.

Quelle belle plume ! L'écriture de Joseph Roth est de facture classique. Cela fait du bien de lire un roman très bien écrit, avec une belle syntaxe, une absence totale de vocabulaire familier. De temps en temps ce genre de romans nourrit les lecteurs. Tout est savamment pesé. Le roman n'est ni un cours d'histoire ni une oeuvre où l'histoire ne sert que de mince cadre.L'Histoire nourrit l'histoire. Les deux sont indissociables. Sans tomber dans le pathétique le lecteur perçoit tout de même le regard de Joseph Roth, triste témoin de ce monde qui s'effondre, de cette Autriche cultivée et forte qui va être prise dans les turbulences du nazisme

Ce roman m'a vraiment marqué et touché. L'écriture de Joseph Roth est de qualité. il sait être subtil et aborder avec justesse la psychologie de ces personnages. J'ai ralenti ma lecture dans le dernier tiers pour prolonger le plaisir. Un coup de coeur.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 7 septembre 2018