King
de John Berger

critiqué par Pucksimberg, le 2 septembre 2012
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Des héros pas comme les autres
Les personnages principaux de ce roman sont des S.D.F et le narrateur s'appelle King, c'est un chien. Autant vous le dire dès maintenant, John Berger bouscule nos habitudes, notre conception du genre romanesque et fait preuve d'une profonde humanité.

L'écrivain peint le quartier que ces hommes squattent, décrit leur fragile habitat, les objets qui font partie de leur quotidien, ainsi que les rapports qu'ils entretiennent les uns avec les autres. Ce roman est passionnant. On ne tombe ni dans le pathos, ni dans le misérabilisme. Ces hommes sont dignes, ont des valeurs, un passé et le narrateur nous permet de rencontrer ces êtres souvent ignorés dans notre quotidien. Le couple dont King est le plus proche est celui de Vico et Vica, un italien et une hollandaise.

Les paragraphes de ce roman sont courts, espacés, et organisés de manière chronologique : 24 heures dans la vie de ces hommes.

Le lecteur sent le regard bienveillant de l'écrivain, de la tendresse même. Il ne fait pas preuve de prosélytisme même si l'on sent son point de vue. Contrairement aux apparences, certains passages sont tout simplement beaux et poétiques ( description des tulipes, de la procession religieuse italienne ... )

Quelques extraits pour imaginer le ton du roman :

"Avant de les griller, il faut couper les marrons, sans quoi ils explosent. Une entaille au couteau, dans le sens de la longueur, de haut en bas. Comme ça, sous l'effet de la chaleur, et grâce à cette fente, leur écorce s'ouvre comme un manteau qu'on déboutonne. Et leur chair brûlante s'exhibe, un peu poudreuse par endroits, ridée à d'autres, toute suppliante d'être dégustée."

"Malak m'a montré un anneau d'or que lui a donné Liberto. Quand il l'a volé, m'a-t-elle expliqué, il ne savait pas exactement ce qu'il avait pris, c'est moi qui en ai découvert le secret. A l'intérieur de la bague était incrusté un métal blanc, dur, autre chose que de l'or ; et sur ce métal, des mots étaient gravés. Je n'arrivais pas à les lire. Ils étaient trop petits, et ils étaient écrits à l'envers : il aurait fallu un miroir. Alors j'ai passé l'anneau à mon doigt, King. Il était tout serré, j'ai dû m'aider avec du savon. Maintenant, regarde un peu, je vais l'enlever. Attends. Voilà ! Qu'est-ce qu'il y a d'écrit sur ma peau ? NE M'OUBLIE PAS. Ces mots sont imprimés tout autour de mon doigt. Imagine ! Tu peux me lécher le doigt, King, vas-y, lèche-le, les lettres ne partiront pas !"

Un roman qui sous son apparente simplicité touche à l'essence même de l'être humain.