Histoire de la guerre du Péloponnèse (précédé de "La Campagne de Thucydide" par Albert Thibaudet)
de Thucydide

critiqué par Romur, le 18 septembre 2012
(Viroflay - 51 ans)


La note:  étoiles
Intemporel
Thucydide, la guerre du Péloponnèse, Syracuse… autant de références à la littérature et à l’histoire grecque souvent croisées qui m’ont déterminé à acquérir une édition de cette chronique historique. Mon choix s’est porté sur Robert Laffont dont le dossier d’accompagnement (cartes et notes) me paraissait bien fourni. C’est effectivement le cas, on regrettera seulement qu’ils aient juxtaposé à la fin un « dictionnaire » et un « index » entre lesquels il faut naviguer ce qui fait perdre beaucoup de temps : pourquoi Tanagra est-elle décrite dans l’index et Tarente dans le dictionnaire ?!!

Cette édition fait précéder le texte de Thucydide par un essai d’Albert Thibaudet « La campagne avec Thucydide » qu’il a rédigé juste après la première guerre mondiale. Dans ces cent quarante pages un soldat de la Grande Guerre nous offre une mise en perspective avec la guerre qu’il vit, mais aussi des épisodes plus anciens comme l’épopée napoléonienne. Pas d’anachronisme mais une vraie généralisation qui montre la modernité de l’œuvre, en soulignant l’importance des aspects économiques et maritimes, en menant une réflexion sur les modes de gouvernement, sur la démocratie et ses limites, sur la guerre. Comme Sun-Zu dans L’art de la guerre, Thucydide identifie des mécanismes universels.

Cet angle de lecture est particulièrement riche et la suite du XXème siècle évoque bien d’autre analogies que Thibaudet ne pouvait évoquer en 1922 : la fin de la démocratie à Athènes au livre VIII – 66 avec la peur de la population face à une minorité agissante et décidée qui prend le pouvoir est un exemple de montée du totalitarisme. L’affrontement entre deux ensembles ethniques et politiques peut être rapproché des causes de la 1ère guerre mais fait encore plus penser à la seconde ou à la guerre froide. L’expédition de Syracuse et l’anéantissement du corps expéditionnaire athénien (trois cents navires et des dizaines de milliers d’hommes en comptant les alliés !) font penser à la retraite de Russie mais aussi au Viet Nam ou à l’Afghanistan qui marque pour certains le début de la fin de l’URSS. Les interventions des Athéniens à Mytilène ou Mélos font penser aux chars soviétiques à Prague ou Budapest…
Tous les événements historiques sont racontés avec soin, les débats entre protagonistes restitués, l'analyse faite avec un réel effort d’objectivité, et le tout dans une langue très neutre. L’abandon par l’armée athénienne en déroute sous les murs de Syracuse des blessés et des malades qui supplient leurs camarades de les emmener et se traînent sur la route, puis le massacre du corps expéditionnaire épuisé sur les bords de l’Assinaros sont ainsi évoqués en quelques phrases très brèves : un auteur moderne aurait cédé à plus de lyrisme. L’œuvre paraît ainsi si lointaine et si proche !

Une lecture passionnante et palpitante à de multiples niveaux ! Ma seule déception a été de découvrir à la dernière page que Thucydide était mort avant la fin, et qu’il me faut aller lire Xénophon pour connaître les dernières années de guerre…
Chronique des guerres antiques 9 étoiles

Je passai un jour dans une librairie, et flânant sur les rayonnages de livres, comme à chaque fois à que je suis dans une librairie ou une bibliothèque, déplorable habitude dont je ne saurai jamais me défaire ! – je suis tombé sur l’image qui représente le livre « La Guerre du Péloponnèse » de Thucydide, un antique casque de guerrier grec sur un vague visage humain fait, semble-t-il, en papier aluminium doré. De contempler cette image m’a fait ressentir une certaine émotion, de voir ce casque si ancien et de savoir qu’il a été porté par un homme qui vivait à une époque depuis longtemps disparu. Et puis ce nom de Thucydide m’a rappelé les années de ma tendre jeunesse où je lisais les BD des 4 as. Doc, l’un de ces 4 as (j’ai réussi grâce à Wikipédia à me rappeler les noms de ces sympathiques personnages !) était toujours fourré dans des livres et citait à tout bout de champ des auteurs grecs ou latins, dont parmi eux, Thucydide ! La conjonction de ces deux phénomènes psychologiques m’a donné envie de lire cette histoire de la guerre du Péloponnèse, écrite par Thucydide !

Je ne l’ai pas lu tout de suite aussitôt après l’achat, mais ai attendu le moment opportun, vu l’épaisseur du livre. J’appréhendai qu’il ne soit difficile à lire, donc qu’il faille encore plus de temps à lire qu’un gros roman plus contemporain. L’été 2019 arrivant, je décidai d’y consacrer les 2 mois les plus estivaux de la saison, juillet et août. Ainsi fut fait.

J’y suis arrivé donc jusqu’au bout, et mes craintes sur les difficultés particulières de lecture se sont vite avérées infondées ! Ce n’est pas compliqué à lire, malgré un style bien caractéristique, très homogène du début à la fin. La lecture en a été plutôt fluide, et s’il y a beaucoup de renvois vers des notes explicatives en fin de volume, ça ne gêne pas vraiment le rythme de lecture. Ces notes restent indispensables pour la bonne compréhension du texte et ajoutent en outre bien des informations intéressantes et enrichissantes. Ça n’en reste pas moins long, car les pages sont toutes entières en lignes bien serrées les unes sur les autres et le texte est très peu aéré, sans presque de dialogues.

Mais cela en vaut la peine, car ce livre nous ouvre tout un monde ancien disparu, raconté par un contemporain dudit monde ancien, et il est fascinant de s’y plonger et de le découvrir. Les grecs d’alors vivaient dans un univers qu’ils séparaient en peuples grecs et en peuples barbares. Au vu des guerres et des batailles que se livraient entre eux les grecs, ainsi que contre les « barbares », on peut constater que les grecs aussi n’étaient pas exempts de barbarie. Mais bon, c’était l’époque et les hommes d’alors : les guerres entre cités et entre peuples étaient chroniques. L’espérance de vie moyenne ne devait pas être bien élevée, même s’il était possible d’atteindre un âge avancé, tel que Périclès, pour ne citer qu’un nom connu, qui est mort à plus de 60 ans. D’autres noms plus ou moins illustres et qui ont traversé les siècles pour arriver jusqu’à nous y sont aussi cités, Alcibiade, Brasidas, Nikias, Cléon, Archidamos, Démosthénès, et d’autres… Socrate, pourtant contemporain n’est pas cité.

C’est que Thucydide ne fait pas la chronique de son temps, mais seulement des guerres de son temps. Tout ce qui ne concerne pas la guerre du Péloponnèse (et les guerres annexes qui en découlent, comme celle de Sicile) n’y est pas rapporté. Il s’ensuit que son ouvrage est une longue suite de batailles, où il rapporte les causes, les conséquences, les prétextes, les contextes, les intérêts de chacune d’elles. On pourrait croire que c’est lassant, mais c’est au contraire passionnant et étonnant, par la diversité de chacune d’elles. Une bataille ne ressemble jamais à aucune autre, et c’est à chaque fois d’une force et d’un art renouvelés que Thucydide nous conte par le menu les dizaines de batailles de cette guerre du Péloponnèse, comme celles de Platée, de Sphactérie, de Mantinée, de Mythillène, d’Epidaure, de Corcyre, de Syracuse, de Lesbos, d’Amphipolis et de bien d’autres. Un temps antique captivant, une société éloignée de la nôtre, qui révèle une mentalité bien à part, avec ses valeurs guerrières, son sens de l’honneur sans pitié, et la place des femmes et des enfants qui pouvaient être considérés comme butin de guerre et réduits en esclavage. Une époque sauvage et cruelle, où les hommes qui y vivaient, il y 2500 ans, pouvaient pourtant aussi se montrer intelligents et retors comme à la nôtre… De ce point de vue, on n’a pas beaucoup plus évolué, malheureusement, mais ceci est une autre histoire.

Un ouvrage fascinant et qui fascinera tous ceux qui auront le courage de s’y plonger.

Cédelor - Paris - 52 ans - 11 octobre 2019