Paulina 1880 de Pierre Jean Jouve

Paulina 1880 de Pierre Jean Jouve

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 25 septembre 2012 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
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« L’ouragan de la perdition ».

Texte surprenant, anachronique, daté, suranné, le livret d’un opéra italien rédigé par un piétiste finlandais avec le style et la prose d’un maître de la littérature contemporaine. Lyrisme, romantisme, pathétisme, grandiloquence sont évités de justesse grâce à cette écriture remarquable, constituée de phrases courtes qui sonnent toujours juste et donnent du rythme au récit.

« Comme il me regarde. Il est beau. Il est jeune. Il faut choisir. Choisir. Je suis enfermée ! On abuse de moi, au secours ! Tais-toi. Tu l’as voulu. Comment ? Mon dieu, éclaire-moi. »

Dans ce texte simple, sobre, élégant, une véritable épure, en cent-dix-neuf paragraphes très courts, de moins d’une ligne à quelques pages, l’auteur raconte l’amour destructeur de Paulina pour le comte qui l’a séduite.

Née en 1849, Paulina, fille d’un riche Milanais nanti d’une lourde fortune, est la cadette de trois frères qu’elle aime peu mais qui, avec leur père, veillent jalousement sur elle. Sa mère s’isole et s’enferme de plus en plus dans la religion, se repaissant de la douleur des martyres qu’elle admire dans les églises. Adolescente, elle devient belle et bientôt une jeune femme admirée de tous et courtisée par tous les jeunes hommes de la bonne société locale. « Elle se trouve très belle, s’amuse mais s’ennuie ». Elle est instable, elle veut mourir, elle veut s’amuser follement, elle est ennui mortifère, elle est joie de vivre, elle est les deux. Un comte, déjà vieux, ami de la famille, la courtise, elle tombe follement amoureuse et l’accepte dans son lit en cachette de son père. Elle ne se pardonne pas d’avoir trompé, et la religion et son père, elle culpabilise de plus en plus après le décès des deux êtres qu’elle a abusés sans vergogne.

Ne pouvant conjuguer sa piété sincère avec son amour charnel dans une forme de religion rousseauiste, elle sombre de plus en plus dans la culpabilité et la religiosité qui la conduisent à l’irréparable puis au convent où elle meurtrit son corps en s’adonnant à la mortification pour expier sa faute et sauver son âme. La brave nonne qui essayait de la sauver est séduite par cette fille belle et désespérée. Paulina doit alors quitter le couvent pour mener une vie de pauvre paysanne totalement démunie qui doit choisir entre la solitude pieuse ou l’amour dévastateur. « Je suis la déchue heureuse. »

Une grande et tragique histoire d’amour, sensuelle comme celle d’une lady anglaise, empêtrée dans une religiosité italienne comme celle des amants de Vérone dans leur querelle familiale, « ils étaient scellés l’un à l’autre dans la foi, la volupté et la détresse. » Un amour pur et absolu, impossible, qui doit être combattu par le cilice et détruit à jamais pour sauver l’âme des amants. L’éternel cycle faute, punition, pardon, rédemption. Un thème qui aurait eu une meilleure actualité dans notre société qui redécouvre l’intégrisme religieux, que dans celle de la fin des années soixante qui se dirigeait tout droit vers un grand mouvement de libération des corps et des mœurs.

« La vie, c’est l’ouragan de la perdition ».

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