Sozaboy
de Ken Saro-Wiwa

critiqué par Lucile, le 10 octobre 2012
(Stockholm - 36 ans)


La note:  étoiles
Enfant-soldat, vu autrement
Mene est un garçon du village de Dukana, au Nigeria. Apprenti conducteur, il vit avec sa maman. La guerre civile approche. Il rencontre dans la ville voisine une jolie fille, Agnes, "Agnes with JJC" (vous devrez lire le livre pour comprendre !), originaire de Dukana, et ayant vécu à Lagos. Alors forcément, il veut se marier. Pour plaire à Agnes with JJC, pour porter un uniforme, chanter des chansons en marchant au pas, et pour ressembler à Zaza, le soza (soldat) qui est parti à Burma (Birmanie) il y a longtemps pour chasser "Hitla" (on devine qui s'est) et qui depuis, est admiré dans tout le village, il se fera soza, lui aussi. Mais la guerre étant la guerre -"war is war", il se fera recruter par les soza "enemy" (les rebelles). Puis il voudra retrouver sa mère et sa jolie femme, Agnès with JJC.

Voila en deux mots l'histoire de Mene, "Sozaboy", racontée par Mene lui-même, c'est à dire avec un vocabulaire limité, un anglais "local", et, ce qui donne toute la force au récit, sans précision de temps ni de lieu, comme la plupart des enfants peu éduqués des villages d'Afrique le feraient. En un mot, le style est naïf à l'extrême.
Bien sûr au fil du récit on devine très bien qu'il s'agit de la guerre civile du Biafra, mais au final, cela n'a aucune importance. Cela pourrait être n'importe quel conflit sur ce continent.

Pour ceux qui sont allés dans des villages en Afrique de l'Ouest, ce récit est encore plus touchant : j'y ai retrouvé la logique simpliste propre aux plus démunis, ainsi que les aspects sociaux des villages de la brousse : la croyance en la magie, l'importance accordée aux rumeurs, le poids de la tradition etc. Et puis j'y ai retrouvé également une sorte d'insensibilité de la part des villageois, que je ne parviendrais pas tellement à décrire. Bien sûr lorsque Mene souffre, il souhaite échapper à cette souffrance, mais il n'y a pas de description intense de la mort ou des horreurs de la guerre civile, comme si il ne réalisait pas l'importance de la souffrance. Sozaboy est balloté d'un endroit à un autre, au gré des circonstances, sans tellement se rendre compte ni de ce qui lui arrive, ni du contexte global. Ce comportement est assez typique, encore une fois, des villageois les moins éduqués (au sens "qui sont peu allés à l'école"). Et bien sûr, comme le récit le montre magistralement, ce sont également les plus vulnérables à toutes sortes d'excès : ils sont alors placés du côté des oppresseurs ou des opprimés selon les circonstances, au bon vouloir des autorités ou des hommes puissants, tous plus corrompus les uns que les autres. Mais pas de manichéisme dans ce livre : Mene en serait bien incapable. D'ailleurs les "gens de Dukana" peuvent être terriblement cruels.

Pour conclure, le récit est admirable, incroyablement percutant, comme peu de livres peuvent l'être. Cela vaut la peine de le lire dans la langue originale (facile, puisque peu de vocabulaire) et de se renseigner un peu sur la vie de l'auteur afin d'inscrire ce livre dans son contexte.