Rêver la Palestine
de Randa Ghazy

critiqué par Cyclo, le 15 octobre 2012
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
les horreurs de l'occupation
Nous sommes à Gaza, dans les territoires occupés, au début des années 90. Les soldats israéliens maltraitent et parfois tuent sans états d'âme tous ceux qui protestent, essaient de vouloir défendre leur bien, leur maison, leur terre, en les traitant de terroristes : "lorsque l'ennemi entre dans ta maison et prend tes vêtements, voilà, et quand il occupe les pièces de ta maison, et te laisse un bout de couloir, juste ce qu'il faut pour y tenir debout, toi et ta famille […], et qu'après, après avoir pris ce qui est à toi, il te dit maintenant « faisons la paix », voilà, si tu dis non, tu es un terroriste ?" C'est ainsi que le conflit est perçu par des jeunes Palestiniens de Gaza qui ont perdu des parents, qui ont été chassés de chez eux par la soldatesque. Ibrahim, Riham et son frère Gihad, Nedal, Mohammad, Ramy, Ahmed et le jeune Oualid, se soudent entre eux et essaient de reconstituer une fratrie, en rêvant à un monde meilleur. Mais l'horreur de la guerre et des tueries gratuites les rattrapent lorsqu'ils voient des soldats assassiner froidement un jeune garçon et sa mère ou faire sauter des maisons. L'Intifada commence, cherchant à venger la population. Oualid, à peine adolescent, qui a toujours vécu dans la rue, a la haine chevillée au corps. Aux provocations des enfants qui veulent être chez eux et qui jettent des pierres ripostent les vraies balles de soldats surarmés. Car la haine ne peut qu'engendrer la haine. Pourtant, pensent certains Palestiniens, "Ils ont souffert, ils ont été persécutés, et au lieu d'en tirer un enseignement, au lieu d'avoir pitié de nous parce qu'ils connaissent la douleur, ils nous infligent les tortures qu'on leur a infligées". Tout cela finit très mal, la fragile communauté se délite. Des survivants, Ramy, ne supportant pas d'être amputé de la jambe, se suicide, Mohammad devient fou, Gihad pour la Syrie et Nedal choisit le combat permanent. Quant à Ibrahim, il "meurt chaque jour en même temps qu'un camarade palestinien, qu'un enfant, qu'une femme, qu'un homme, en même temps que l'Intifada et ceux qui la combattent".
Alors, trouve-t-on ici "incitation à la haine", "apologie du terrorisme et du Djihad", voire "incitation à la haine raciale et antisémite" comme l'ont estimé les associations qui ont demandé l'interdiction de ce roman écrit par une très jeune égyptienne (quinze ans) vivant en Italie ? D'une part toute la narration est vue du point de vue des jeunes Palestiniens, qui ne peuvent pas penser autre chose que ce qu'ils sont en train de voir : confiscation de terres, maisons détruites, soldatesque abusivement arrogante (je pensais aux contrôles au faciès dans nos quartiers et au rejet qu'ils suscitent). Ramy ne dit-il pas : "il faut garder notre sang-froid, même la douleur ne doit pas nous rendre fous. Nous devons les vaincre en nous maîtrisant nous-mêmes. […] Avec les attentats et les bombardements, nous n'arriverons jamais à la paix". Cependant l'humiliation permanente, l'absence de perspectives, les émotions primaires, sont les plus fortes. Même l'histoire d'amour entre Ramy le Palestinien et Sarah l'Israélienne sera sans issue.
Au fond, la très jeune romancière de "Rêver la Palestine" ne fait que dénoncer ce que tout le monde sait : une situation bloquée dans laquelle les Palestiniens, dépourvus de leurs droits les plus élémentaires, se trouvent confrontés avec une armée d'occupation. Et encore, le livre a été écrit avant la construction du fameux Mur !