Muse
de Joseph O'Connor

critiqué par Alma, le 21 novembre 2012
( - - ans)


La note:  étoiles
Splendeur et misère d’une comédienne
Elle était sa muse, il fut son Pygmalion. Elle, c’est Molly Algood, une comédienne irlandaise débutante de 17ans, catholique, orpheline issue d’une famille très modeste . Lui, c’est John Synge, le célèbre dramaturge, de 20ans son aîné, né d’une famille respectable de propriétaires protestants qui lui donna en 1907 « le rôle qui fit d’elle une légende », celui de Pegeen dans Le baladin du monde occidental. Leur liaison clandestine, jugée inconvenante, fit scandale. Celle qu’on disait muse ou inspiratrice du dramaturge mais qui se disait « la servante des textes de Synge »devint alors pour « les beaux esprits de l’intelligentsia dublinoise », « L’indigène de Johnny Synge , sa « putain » . Leur liaison ne dura que quelques années, se délita , ils rompirent peu de temps avant la mort de Synge à 37ans, mais elle était lancée et devint célèbre outre-atlantique .

Lorsque commence le roman, en 1952, Molly n’est plus qu’une misérable soiffarde de 65 ans, une comédienne déchue qui court après un dernier rôle et de quoi s’offrir une dernière bouteille . La mort n’est pas loin. O’Connor raconte les derniers jours de celle que Synge appelait « mon enchanteresse » et à qui le dernier directeur de théâtre sollicité donne 10 dollars pour qu’elle débarrasse le plancher et dit « ta carrière est finie, espèce de soularde ». Son esprit perturbé confond les visages. Tout se bouscule dans sa tête: le médiocre présent, les moments de gloire et de célébrité.

Une biographie, semble-t-il ? Et pourtant, non ; un roman comme l’indique la page de garde et comme le précise O’ Connor à la fin de l’ouvrage « Muse est une œuvre de fiction qui prend souvent d’immenses libertés avec la réalité. Les expériences et la personnalité des vrais Molly et Synge différent de celle de mes personnages d’innombrables manières . …..La situation de Molly à la fin de sa vie, bien que difficile, ne fut jamais telle qu’elle est décrite ici. La plupart des faits de ce livre ne se sont jamais produits . ….aussi ai-je demandé à ces nobles fantômes de la littérature de me pardonner de ne pas avoir changé leur nom »

Un roman,donc, dans lequel l’auteur s’adresse toujours à Molly à la deuxième personne, comme s’il établissait avec elle une sorte de complicité ou lui rendait hommage. Toutefois ce « Tu » récurrent est parfois aussi celui par lequel , dans son délire, Molly s’adresse à celle qu’elle fut autrefois, dans sa vie de gloire antérieure « tu as compris , dans l’un de ces moments de fulgurante et brève clarté qui ponctuent une gueule de bois, que la jeune femme que tu imagines, c’est toi »

Changements de destinataire, ellipses dans le récit, absence de chronologie , monde fantasmé ….le lecteur peut par moments se sentir dérouté par ce roman qui défie l’espace et le temps , mais il doit se laisser entraîner par le souffle de son écriture variée, qui sait aussi bien traduire le charme du langage suranné des gens bien nés dans les parties dialoguées où interviennent Synge, sa mère ou le poète et dramaturge Yeats que le bonheur simple de la vie rustique du couple que forment Molly et Synge .

O’Connor transporte aussi son lecteur dans les coulisses de la vie théâtrale, l’entraînant dans les répétitions , les tournées , ne cachant rien des rivalités entre les comédiens ou du regard de certains dramaturges pour les acteurs considérés comme « une bande de pourceaux à qui on jette de la confiture ». On découvre le scandale que provoqua la célèbre pièce : Le baladin du monde occidental , un pièce jugée « Vile et ignominieuse. Une disgrâce pour la femme irlandaise. Une calomnie contre les paysans. …une insulte à l’innocence d’un peuple »

Splendeur et misère d’une comédienne , MUSE est un roman superbe . Le titre anglais GHOST LIGHT me paraît toutefois mieux adapté à ce voyage intérieur parmi les fantômes d’un monde enfui que MUSE qui semble le réduire à sa dimension biographique .
Maire O'Neill, mon Enchanteresse ! 9 étoiles

Ecrivain irlandais né en 1963 à Dublin, Joseph O'Connor commence à écrire en 1989. Pendant 10 ans, il est journaliste pour deux journaux "The Esquire" et "l’Irish tribune". Il fait partie des jeunes écrivains les plus talentueux, de ceux qui ont donné un second souffle à la littérature romanesque en Irlande.
Ghost Light (Muse) parait en 2010.

Pendant toute une journée, nous suivons les errances d'une actrice oubliée. Molly Allgood, dite Maire O'Neill, a connu le succès sur les planches. Son talent servait les pièces de son amant, le dramaturge irlandais John Millington Synge. Qu'importaient les ragots, elle était son "Enchanteresse", il était son "Vagabond". Mais la belle histoire d'amour prend l'eau de toute part. Molly sera la muse, l'amante passionnée, mais l'épouse jamais. La relation amoureuse se teinte d'amertume.
La narration prend la forme d'une voix qui s'adresse à l'actrice déchue, remuant le passé glorieux et secouant une Molly qui se replie sur elle-même.
Une superbe ballade irlandaise qui donne au roman une profondeur nostalgique.
L'auteur fait revivre avec finesse un couple d'amants maudits. Il rend à Molly Allgood sa place sur un piédestal éternel.
Une oeuvre passionnée, inoubliable.
Sublime moment de lecture !

Frunny - PARIS - 59 ans - 16 novembre 2013