L'espace prend la forme de mon regard
de Hubert Reeves

critiqué par CC.RIDER, le 13 décembre 2012
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Sans grand intérêt
Petit livre de considérations et réflexions diverses et variées de l'astrophysicien canadien, cet « Espace qui prend la forme de mon regard » est une sorte de journal ou de carnet de bord rempli de notes écrites à la va-vite, de réflexions philosophiques ou morales plus ou moins profondes, ainsi que d'observations plus ou moins poétiques de la nature. Composé de quatre parties : « Le temps qui passe », « Au cimetière », « De la nature » et « La quête de sens », ce livre pose la plupart des questions essentielles. Qu'est-ce que la vie ? D'où vient-elle ? Une horloge peut-elle exister sans grand horloger ? Pourquoi l'homme a-t-il une conscience ? Y a-t-il une vie après la mort ? Que faisons-nous sur cette terre ? Autant de problématiques auxquelles le grand scientifique n'apporte aucune explication définitive, chacun s'en doutera. Alors quel peut bien être l'intérêt de publier ce genre de texte qui, s'il émanait du citoyen lambda, serait certainement resté douillettement niché au fond d'un tiroir ? L'indulgence naturelle du lecteur l'amènera à ne pas répondre à cette question tout en conseillant de faire un détour tant l'intérêt est réduit. Etre un astronome reconnu n'implique pas d'être également un grand poète ou un philosophe de haut niveau. Ingres jouait du violon, mais jamais personne ne l'a confondu avec Paganini... Quelques photos d'art en noir et blanc dont une jolie reproduction d'un Giacometti illustrent ce petit opus assez quelconque.
Réflexions poético-philosophiques pour un public adolescent 7 étoiles

Je ne sais si ce livre fut la commande d’un éditeur ou si Hubert Reeves s’est soudainement senti une âme de poète-philosophe mais, quelle que soit la motivation initiale, le résultat n’est pas à la hauteur du talent de l’auteur ! Tout au long des 4 chapitres, Hubert Reeves alterne descriptions de la nature, rehaussées de quelques photographies noir et blanc (plutôt réussies), et réflexions sur la place de l’homme dans l’univers, en dénonçant l’attitude de notre espèce qui se fourvoie dans les guerres et la surproduction économique au lieu de jouir du miracle de la fragile beauté du monde. Même s’il n’est guère original, le propos n’est pas inintéressant mais Hubert Reeves manque de souffle, notamment dans ses descriptions de la nature qui restent platement à la surface des choses alors qu’on ressent bien sa tentative de dire combien la vie est belle et miraculeuse… Souvent, ce sont de courtes phrases, parfois purement nominatives comme des légendes photographiques, qui servent de prétexte à quelques digressions méditatives.

Un étang sec à la fin de l’été. Le Soleil descend vers l’horizon et les ombres des arbres s’allongent sur la terre craquelée couverte de feuilles jaunies. Perché sur une branche morte, un rouge-gorge me regarde. Puis il remonte dans un dense sycomore. J’écoute ses notes aiguës vaguement plaintives.
On souhaiterait que ces moments harmonieux durent indéfiniment. On ne peut pas imaginer qu’ils cessent d’exister. Pourtant, la détérioration physique et la mort récente d’un ami très proche me rappellent leur fragilité et leur précarité.

ou

La mer roule ses longues vagues blanches vers les rochers acérés. Le vert des oliviers se détache en avant-scène sur le ciel, lieu profond où navigue paisiblement une flottille de nuages légers. La journée est magnifique et le monde est beau.
Mais l’Algérie… Mais le Kosovo… Chaque jour des informations nous arrivent, plus terribles les unes que les autres. Chaque témoignage en rajoute sur les précédents. Massacres, famines, choléra, le malheur semble sans fin. A quelques milliers de kilomètres au-delà de cette mer joyeuse devant moi, l’horreur dépasse les bornes de l’imagination. Des milliers de victimes.

Que dire de plus ? Hubert Reeves montre qu’une sensibilité poétique ne suffit pas à faire un poète et qu’une volonté philosophique ne suffit pas à faire un philosophe. En outre, ses leçons de sagesse tournent vite court car Reeves refuse de se confronter aux grands enjeux philosophiques. Certaines questions sont esquissées à grands traits, notamment celles relatives à l’émergence du vivant et de la conscience, à notre place dans l’univers et à l’existence de Dieu. Mais Reeves, peut-être par modestie, répugne à faire part de ses convictions. En outre, certaines formulations sont ambiguës, à la limite du dessein anthropique comme celle-ci (Nous sommes les enfants d’un cosmos qui nous a donné naissance après une grossesse de quinze milliards d’années) qui sous-entend, parmi d’autres remarques du même acabit présentant l’humanité comme le point culminant de l’organisation du vivant, que l’humanité est une finalité, comme si l’univers, tout au long de sa progression dans la complexité, n’avait eu d’autre but que de nous engendrer. Néanmoins, ce livre (anecdotique dans la bibliographie d’Hubert Reeves) peut être intéressant et émouvant pour un public adolescent, à l’âge où on commence à se poser des questions sur le sens de la vie. Reeves insiste notamment sur les limites et les dangers d’une attitude trop rationnelle, qui étouffe la compassion, et considère que l’humanité, devenue en quelque sorte la « conscience » de la nature, doit s’élever au-dessus de l’amoralité de la matière.

Eric Eliès - - 50 ans - 1 novembre 2017