Théorème vivant
de Cédric Villani, Claude Gondard (Dessin)

critiqué par Yokyok, le 16 décembre 2012
(Nîmes - 36 ans)


La note:  étoiles
Naissance d'un théorème
Théorème vivant, c’est l’histoire de l’avancée mathématique qui valut à Cédric Villani de recevoir la médaille Fields, plus haute distinction du monde des mathématiques. Émaillé ici et là par les portraits d’illustres mathématiciens, et rythmé par les e-mails échangés à un rythme souvent effréné entre l’auteur et son collègue, ce récit enlevé nous montre comment, entre traits de génie et coups de déprime, et via des jours d’un labeur enthousiaste et acharné, s’élabore un théorème.

De quoi redonner de l’attrait aux filières scientifiques, boudées par les bacheliers ? À voir. Si le pari de présenter de façon attrayante le quotidien d’un chercheur en mathématiques est réussi, le choix de l’auteur de nous livrer un témoignage brut, présentant ici et là – notamment dans les extraits d’e-mails et de publications scientifiques –un certain nombre de termes et formules difficilement compréhensibles par le commun des lecteurs, pourra en rebuter certains. Les autres apprécieront ces quelques heures en compagnie d’un homme quelque peu excentrique (il porte une montre à gousset, arbore une araignée en plastique au revers de sa veste) et éminemment sympathique (un homme pour qui les écrivains servent « à vous donner un bon coup de poing sur le crâne » ne peut qu'être un mec bien).
Une plongée fascinante dans les mathématiques modernes 10 étoiles

Ce livre, qui donne à voir et ressentir le processus de maturation d’un théorème mathématique, ne ressemble à nul autre et s’apparente, en première approche, à une mosaïque de chapitres destinés à plusieurs types de lecteurs (ce que souligne d’ailleurs l’emploi de polices différentes) comme si Cédric Villani, brillant mathématicien spécialiste mondial de l’équation de Boltzmann (à l’origine de la physique statistique), n’avait su choisir entre s’adresser au grand public et s’adresser aux (rares) spécialistes capables de comprendre ses raisonnements mathématiques (le sommet étant constitué des 10 pages de démonstration du théorème du 7.7). Pourtant, presque miraculeusement, le livre se lit assez aisément et le charme opère. En fait, il n’y pas besoin d’être mathématicien pour lire l’ouvrage, dont une grande partie est tout bonnement incompréhensible, mais c’est comme si un poète avait voulu expliquer la genèse d’un poème qu’il aurait écrit dans une langue inconnue du lecteur et intraduisible. Ce qui compte alors n’est pas tant le poème lui-même que le chemin qui y mène et le souffle d’inspiration qui permet d’aboutir au texte offert en partage. A ce titre, « Théorème vivant » est une sorte d’illustration de « Les mathématiques sont la poésie des sciences ».

Néanmoins, le livre évoque - bien évidemment - les mathématiques et il faut ne pas y être totalement réfractaire pour se plonger dans la lecture d’un tel ouvrage mais même pour qui a pratiqué un peu les mathématiques, le livre est ardu. Par exemple, je sais définir la notion de norme ou faire un développement en série de Fourier mais j’avoue que je ne comprends rien à l’usage qui en est fait ici… Au final, qu’on ait ou pas des notions de mathématiques, on est tous démunis face aux apartés mathématiques de l'auteur qui n’hésite pas, sans aucune note de bas de page à caractère pédagogique, à accumuler les formules (ce que les éditeurs interdisent en général à leurs auteurs scientifiques !). Mais le plaisir de lecture reste immense car le livre, même s’il ne s’agit pas d’un texte de vulgarisation, offre, en plus d'un beau portrait de mathématicien saisi sur le vif, un double point de vue sur l’histoire des mathématiques et ses développements ainsi que sur l’essence intime des mathématiques.

Concernant l’histoire des mathématiques, l’ouvrage met en exergue que la recherche en mathématiques n’est jamais l’aboutissement de la réflexion solitaire d’un mathématicien, fût-il génial, mais le fruit du travail d’une communauté d’hommes, chacun étant mû par ses ambitions, ses idéaux et ses traits de caractère et composant avec des préoccupations de vie privée (famille, etc.). Ce qui se dégage de tout l'amoncellement de mails abscons échangés entre Villani et son principal collaborateur (et ancien élève) Clément Mouhot, ainsi que des nombreuses rencontres entre spécialistes lors de colloques ou de réunions portant sur des sujets sibyllins, c’est – paradoxalement – de la passion (pour les mathématiques bien sûr mais pas seulement : la musique est aussi très présente tout au long du livre) et de la chaleur humaine.

Mais le point le plus intéressant est pour moi le second, qui est présent dès le titre et, faisant écho à des interrogations que j’ai déjà lues dans d’autres ouvrages (sur Gödel, sur Cantor ou sur les mathématiques elles-mêmes comme « La fin des certitudes »), porte sur l’essence des mathématiques. A la limite, tout est dans le titre et qui en a compris les implications peut presque se dispenser d’ouvrir le livre !!! Ce que montre le livre de Villani est qu’un théorème mathématique n'est pas pleinement une production de l’intelligence humaine. Tout se passe comme si l’énoncé un théorème résultait de l’exploration d’une autre réalité, à laquelle l’homme accède par l’intelligence, mais qui présente un certain caractère d’autonomie par rapport à l’intelligence humaine. Les théorèmes ne sont pas des créations mais des créatures, dotées d’une identité et presque d'une personnalité, qui peuplent cette autre réalité dont les mathématiciens sont les arpenteurs quotidiens (au risque d'ailleurs de parfois sombrer dans la folie). Villani n’élabore pas son théorème : il le traque, persuadé de son existence ! Et son théorème, comme une créature vivante, se débat, se dérobe, refuse de se laisser capturer : tout le travail de Villani et de son équipe (comme les autres mathématiciens qu’il évoque), est de tisser des liens conceptuels qui vont peu à peu se resserrer sur le théorème jusqu’à surmonter sa résistance et – finalement – le vaincre ! Ce faisant, il pose, sans d’ailleurs y répondre, des questions essentielles sur la nature et le développement des mathématiques...

Le livre présente également quelques travaux récents. Personnellement, j’ai trouvé cette lecture très enrichissante : par exemple, je ne connaissais pas l’amortissement Landau (l’évolution spontanée vers un état d’équilibre à l’encontre des principes fondamentaux de la thermodynamique) ni l'importance prise par l'informatique dans la recherche mathématique, y compris pour la validation d'un théorème via des programmes d'analyse de preuve ! Le livre évoque également quelques-unes des grandes questions et controverses mathématiques, comme l’hypothèse de Cantor sur la puissance du continu qui fait partie de ces vérités indécidables imposant aux mathématiciens de faire un choix… Et, pour l'anecdote, c’est aussi grâce à Cédric Villani que j’ai découvert la musique de Catherine Ribeiro, dont je suis en train d'écouter "Paix" (sur youtube) en même temps que j'écris cette note de lecture !!!

Nota : certains lecteurs ont trouvé du suspense dans la présentation de l’ouvrage et fait un parallèle avec le genre policier, comme si la recherche en mathématiques s’apparentait à un travail d’investigation policière. Je ne partage pas du tout ce point de vue et la notion de suspense est même totalement caduque puisque l’issue est connue d’avance : Villani, ayant obtenu la médaille Fields, a forcément surmonté les difficultés qu’il présente…

Eric Eliès - - 50 ans - 27 avril 2019


L’itinéraire d’une médaille Fields 10 étoiles

A son allure de jeune dandy romantique sorti du 19ème siècle, qui peut deviner la stature exceptionnelle de ce mathématicien devenu une sommité mondiale pour ses recherches appliquées à la physique contemporaine ? Dans une autobiographie en forme de journal sur 3 ans (2008-2011) Cédric Villani, c’est de lui qu’il s’agit, nous livre une aventure intellectuelle dont il ne soupçonnait pas la difficulté ni les pièges. Sa récompense : la fameuse médaille Fields décernée en 2010. Cette publication répond aux questions qui lui sont si souvent posées : à quoi ressemble la vie d’un chercheur, d’un mathématicien, de quoi est fait son quotidien, comment s’écrit son œuvre. Le théorème objet de son travail dont il nous relate la progression mois après mois s’est écrit sur 15 chapitres et 180 pages avant d’être édité dans la prestigieuse revue internationale Acta Mathematica en 2011. Au-delà de la découverte des phénomènes et du monde qui nous entourent, autrement dit de la science en train de se faire, on partage son enthousiasme. Il y a de l’émotion, du suspense, un régal.

Colen8 - - 83 ans - 9 décembre 2014


Matière brute 4 étoiles

Peut-on dire que Théorème vivant est une réconciliation avec les mathématiques ? Pas vraiment, car certes il est difficile de ne pas apprécier la personnalité de Villani, à la fois brillant mais modeste, excentrique mais raisonnable, que l'on découvre au fil d'une aventure personnelle intéressante et originale en tant que sujet de roman ; mais le fond restera toujours aussi obscur et barbant pour le profane, même curieux.

Ainsi l'on égrène les pages remplies de formules mathématiques, les mails d'échange incompréhensibles, en se demandant l'intérêt de les avoir publiés parmi le récit "romanesque" des pérégrinations du narrateur. Résultat on finit par sauter des pages inutiles pour mieux apprécier les faits relatés, les difficultés non-mathématiques rencontrées par le scientifique, ses appréhensions, ses sentiments et sa vie débordante d'occupations. Tout ceci se suit sans déplaisir il faut l'avouer même si le style n'a rien d'extraordinaire, et cela nous fait d'autant plus regretter les schémas mathématiques imposés qui nous ennuient à outrance.

On aurait aimé que le livre soit plus un élément de vulgarisation dans ses intentions, sans bien sûr rentrer dans les détails des calculs mais juste en en nous exposant le but, en relatant des anecdotes (il y en a trop peu) et en s'attardant encore un peu plus sur les génies torturés de cette science. Ici tout le côté pédagogue, didactique et même amusant est survolé pour nous laisser avec de la matière brute indigestible pour le commun des mortels.

Tout ceci se suit sans déplaisir il faut l'avouer même si le style n'a rien d'extraordinaire, et cela nous fait d'autant plus regretter les schémas mathématiques imposés qui nous ennuient à outrance.

Tout l'inverse de ce qu'a dû ressentir notre mathématicien triomphant en somme.

Ngc111 - - 38 ans - 5 septembre 2013