L'affaire Crémonnière
de Henri Troyat

critiqué par Shelton, le 28 décembre 2012
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Pas le plus connu, mais prenant...
Tout d’abord, précisons bien qu’il s’agit-là d’un roman et non d’un documentaire ou d’un témoignage. En effet, les personnages sont imaginaires, l’histoire fruit de la créativité du romancier Henri Troyat, et, pourtant, on y croit dès le départ. Tout semble vrai, le fait divers, la machinerie judiciaire, l’erreur et, enfin, le combat pour la vérité d’une jeune femme… La fiction plus vraie que la réalité !

Tout commence lors de l’attente du résultat de la délibération du jury. Philippe Crémonnière est dans le box des accusés pour la deuxième fois. Il a déjà été jugé pour l’assassinat de sa femme Simone et reconnu coupable. Sa fille Marie-Hélène est convaincue de son innocence et c’est elle qui s’est battue pour que ce second procès puisse, enfin, révéler la vérité, l’innocence de son père…

Il est vrai que l’enquête, sans être bâclée, est allé vite en besogne et n’a pas pris en compte tous les éléments disponibles, tous les témoignages possibles. Certes, Philippe avait de bonnes raisons d’en vouloir à sa femme qui avait un sens très personnel de la fidélité conjugale. L’amant existe, il est connu, identifié… Philippe peut être perçu comme le coupable parfait… ou la victime innocente, celui qui va payer pour toutes les erreurs des autres avant de végéter en prison…

L’attente est difficile, heureusement, l’avocat est sûr de lui et il tient compagnie à Marie-Hélène. Cette affaire va lui faire le plus grand bien. Les médias parleront de lui, de son succès, de son combat contre l’injustice. D’ailleurs, dès le verdict rendu, il faudra répondre aux interviews, mettre en scène Philippe, tirer profit de cette victoire pour montrer toutes les incohérences de la justice, ses dysfonctionnements. Oui, Maitre Porquès se sent appelé à de très hautes fonctions suite à ce procès… Il y aura bien une Affaire Crémonnière !

Le lecteur se met à y croire. Dans sa tête, il revit toutes ces affaires judiciaires qui furent de grands fiascos ou qui restent sans réponses : Seznec, Dominici, Grégory, Outreau… Et les critiques pleuvent contre la justice, la police, les juges, les journalistes… Nous sommes pris au jeu et nous entrevoyons la vérité plus vite que tout le monde… Henri Troyat se joue de nous car dans un roman le lecteur n’a accès qu’aux vérités délivrées par les phrases de l’auteur…

Nous mesurons alors, un peu tard, que jamais nous ne pourrons juger d’une affaire à travers le récit qui en est fait par un journaliste, un témoin, pire un romancier. Ce qu’Henri Troyat fait démontre clairement qu’un fait divers est un récit médiatique qui enchante le lecteur, l’énerve ou le fait s’émouvoir… mais qu’il n’est jamais un récit scientifique, froid, exact permettant de comprendre à coup sûr les faits, à fortiori de découvrir le coupable… Gardons en mémoire cette démonstration la prochaine fois que nous voudrons donner des conseils aux enquêteurs d’un crime…

Quant au jugement de l’Affaire Crémonnière, aux lendemains médiatiques, au devenir des relations entre Maitre Porquès et Marie-Hélène Crémonnière, à la vérité… c’est ce que vous découvrirez dans ce petit roman que j’ai apprécié et dévoré d’une seule traite. Un grand texte ? Non, un bon texte, ce qui n’est déjà pas si mal et qui correspondait à la préparation de mon prochain cours d’histoire des médias sur le Fait Divers… Tout s’explique…