Jean Anglade a désormais achevé en douceur sa vie longue de 102 ans. C’est l’occasion de se replonger dans ces passionnantes confidences auvergnates, tantôt poignantes, tantôt truculentes, et qui montrent combien, au début du XX e siècle, la vie rustique était dure, mais peut-être plus simple qu’aujourd’hui. Ainsi, c’est en entendant quelqu’un lui crier de loin « Eh Jean, ta grand–mère est morte », que l’enfant de 10 ans apprend le décès de celle qui l’a élevé en tant qu’orphelin de guerre. De même, lorsqu’à 13 ans, on lui fait porter des sacs de gravats « plus lourds que lui », s’il demande des gants, on les lui refuse en lui affirmant que « c’est le métier qui entre ». Et pourtant, tout cela est narré sans la moindre rancœur, sans une once de victimisation, sans mendier des séances de psychothérapie ou des antidépresseurs.
C’est un témoignage riche d’enseignements sur un certain art de vivre. On est étonné d’apprendre à quel point les dialectes étaient encore vivaces dans les campagnes jusqu’entre les deux guerres. Et on s’amuse à la description des premières séances de cinéma dans les villages, où le public se manifeste bruyamment comme à Guignol, jusqu’à l’arrivée du parlant, où il devra apprendre à se taire.
Même si la vie particulière de ce coin d’Auvergne est miraculeusement ressuscitée par le souvenir, je dois récuser l’étiquette d’écrivain régionaliste, commodément accolée à Jean Anglade comme à son père spirituel Henri Pourrat. Sur la base de leur expérience, ils ont construit une œuvre aux dimensions universelles, grâce à leur maîtrise de la langue et des images.
De son milieu paysan, il garde la bonhomie, le bon sens, mais aussi la finesse, comme le montrent les réflexions roboratives dont il pimente ses souvenirs des années 30 ou de la drôle de guerre, pendant laquelle un « ministère du Bourrage-de-Crâne fut institué, confié à l’écrivain Jean Giraudoux, ce rêveur creusois qui avait voulu nous faire croire que la guerre de Troie n’aurait pas lieu ». Il en est ainsi de la Résistance, de la collaboration ou de la Libération.
Alceste - Liège - 63 ans - 29 janvier 2018 |