Histoire du docteur Johannes Faustus ; Suivi de : La tragique histoire du docteur Faustus de Christopher Marlowe

Histoire du docteur Johannes Faustus ; Suivi de : La tragique histoire du docteur Faustus de Christopher Marlowe
(Volksbuch, suivi de The Tragical History of Doctor Faustus)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Théâtre et Poésie => Théâtre

Critiqué par Stavroguine, le 20 janvier 2013 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 7 étoiles
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La naissance d'un mythe

Donc, il y avait Faust, celui de Goethe qui n’en pouvait plus de vivre et attendait la mort, et mit le diable au défit de lui redonner l’envie de vivre en échange de quoi il lui abandonnerait son âme. Et donc, avant Faust, il y avait le vrai Faust, magister Georgius Sabellicus, Faustus junior, fons necromanticorum, astrologus, magus secundus, chiromanticus, aeromanticus, pyromanticus, in hydra arte secundus.

Le vrai Faust ne s’appelle donc pas Johannes, mais Georgius et il se présente comme nécromancien, astrologue et mage maîtrisant plusieurs techniques, mais devant encore travailler un peu tout ce qui touche à l’eau. C’est de ce docteur Faustus que Christopher Marlowe s’est inspiré dans sa tragédie et Thomas Mann dans son merveilleux livre éponyme, et c’est sa vie que nous relate ce Volksbuch, ce livre populaire dont l’auteur est anonyme et qui tend avant tout à mener à bien la tâche d’avertir le lecteur chrétien contre les dangers auxquels il s’expose en poussant un peu trop la curiosité du côté des arts occultes et en pactisant avec le diable.

Contrairement à Marlowe, Goethe ou Mann, l’auteur, ici, n’est pas poète. Son rôle est purement informatif. Le « Prologue au lecteur chrétien » ne laisse d’ailleurs planer aucun doute :

« Et pour que tous les chrétiens/ et même les hommes raisonnables connaissent mieux le diable et ses desseins/ et apprennent à s’en défier/ j’ai sur le conseil de personnes instruites et pleines d’entendement voulu exposer l’exemple effroyable du docteur Faustus/ et quelle horrible fin eut sa magique entreprise. »

Le pêché du docteur Faustus est le même qui a mis fin au règne de l’homme au paradis : il a voulu savoir. Comme d’autres, il a lu tous les livres et plus rien ne se trouve sur le terre qui puisse l’enrichir. Alors, le docteur Faustus conjure le diable et celui-ci lui envoie un de ses démons, Méphostophilès (qui ne deviendra Méphistophilès qu’après Marlowe) qui lui propose d’entrer à son service si au terme de vingt-quatre ans, Faustus cède son âme au diable. La scène est fameuse par laquelle Faustus signe de son sang le contrat qui le lie. S’ensuivent vingt-quatre années durant lesquelles Faustus aura accès à toutes les connaissances, mais ce qui le préoccupe le plus, c’est d’abord le salut de son âme et les conséquences de sa décision. Alors il interroge son démon sur l’enfer et les souffrances qui y ont cours, et c’est l’occasion pour l’auteur d’évoquer une éternité de puanteur et de torture dans cet espace infini où l’on brûle sans cesse ni jamais se consumer - toutes choses devant dissuader le lecteur de suivre le chemin de Faustus. Pour le lecteur moderne et moins superstitieux, c’est l’occasion de rafraîchir ses connaissances sur la chute de Lucifer et de s'apercevoir que les mythes chrétiens - avec leurs cortèges d’anges et de démons qui se battent au paradis, leurs mythes fondateurs comme la très oedipienne révolte de Lucifer contre son Créateur - n’ont rien à envier à ceux des religions de l’antiquité.

Puis, on rentre dans le vif du sujet et alors, on est un peu déçu. C’est que si Méphostophilès livre bien à son maître de Faustus toutes les connaissances qui concernent les arts magiques en lui remettant un gros livre - ces choses dangereuses dont les religions nous apprennent à nous méfier -, le docteur ne les met en oeuvre que pour exécuter une suite de pitreries qui le feront passer pour un magicien de pacotille aux yeux du lecteur du vingt-et-unième siècle, habitué à mieux chaque semaine sur ses écrans. Tout juste Faustus fera-t-il pousser des cornes sur la tête d’un chevalier qui lui aura manqué de respect, effraiera des paysans mal lunés en faisant semblant d’avaler leurs charrettes et chevaux, ou éloignera les créanciers en prétendant leur laisser une jambe en gage. Le reste, il le fera par le truchement de son démon et c’est seulement ainsi qu’on touchera à la nécromancie. Et encore : loin de réveiller les morts, Méphostophilès se contentera de prendre l’apparence du grand Alexandre devant Charles Quint ou de l’Hélène pour laquelle on se battit pendant dix ans devant une assemblée d’étudiants qui discutaient de la plus belle femme du monde. Il fera aussi faire à Faustus un voyage qui le mènera à travers l’Allemagne, la France et l’Italie, avec notamment un joyeux passage à Rome qui permet à l’auteur, sans doute luthérien, de se moquer du pape et de dénoncer son train de vie.

Le livre trahit ici son origine orale et populaire : on imagine bien que le récit de ces aventures n’est que la compilation des histoires qui devaient circuler dans cette fin de moyen-âge sur le docteur Faustus de Wittenberg dont les connaissances et l’esprit curieux dépassaient de beaucoup celui de ses semblables, et qui devint légendaire. D’autant qu’on constatera dans les annexes que d’autres histoires s’ajouteront au fil des éditions.

On le sait, l’histoire du docteur Faustus est tragique et elle se finira dans d’atroces souffrances lorsque le diable viendra reprendre son du. A mesure qu’approche l’échéance de la vingt-quatrième année, Faust s’interroge et s’il est de nouveau tenté, c’est par l’idée de rédemption. On retrouve ici l’idée - beaucoup mieux développée chez Mann - selon laquelle il n’y a de plus grand péché que de renier sa foi. Dieu a beau être pardon, Faust, comme Caïn, considère son crime trop grand. De toute façon, le diable veille sur cet homme qui est son bien, il écarte ceux qui tentent de le faire dévier du chemin sur lequel il s’est engagé et ne manque pas de le rappeler à ses obligations quand Faust est en proie au repentir.

Voilà donc l’histoire de Faustus, dont on nous assure qu’elle est véritable.

Marlowe, dans sa tragédie, en reprend les aspects les plus marquants (l’ennui de Faust et sa soif de connaissance, la signature du pacte, le voyage, les cornes, les apparitions d’Alexandre et d’Hélène). Ce qui change, c’est avant tout la langue. C’est que la mission de Marlowe n’est pas la même. Il est poète, et qui plus est vraisemblablement athée : son but est de divertir. Cela se ressent donc avant tout dans le vocabulaire, dans l’emploi de la rime et des vers qui viennent souligner les passages les plus cruciaux pour livrer au final une assez jolie pièce. Cela se traduit aussi par l’intégration de quelques passages de farce entre Wagner, l’intendant de Faustus rendu plus tard célèbre par Goethe, et Robin, le bouffon, et par le défilé des sept péchés capitaux venus divertir Faust et qui fera même dire à Lucifer qu’ « il y a bien du plaisir en enfer ». Pas de doute, l’idée n’est pas ici d’inciter le spectateur à rester dans le chemin qui le mènera au paradis, même si le repentir de Faust, constamment hanté par le poids de sa faute, et sa fin horrible sont bien présents.

Là où Marlowe fait preuve de génie, c’est quand il décèle dans ce conte superstitieux, cette farce tragique des aventures de Faustus, l’essence de ce qui constituera un des plus grands mythes de l’histoire de la littérature. C’est comme si Marlowe d’un seul coup prenait l’histoire de Faustus pour ce qu’elle est (un avertissement et une incitation à mettre un frein à sa curiosité et à ses connaissances) et la présentait comme son contraire - une fable sur la connaissance qui s’oppose à l’ignorance dans laquelle Dieu et son clergé veulent maintenir l’homme. Après tout, Faustus n’accède-t-il pas à la connaissance au moment même où il accepte la damnation ? A la différence d’Adam et Eve devant l’arbre de la connaissance, il n’est pas tenté : c’est lui-même qui conjure le diable pour avoir accès au savoir. De même, contrairement à eux à qui le paradis est promis pour l’éternité après la vie terrestre, son péché est impardonnable : il a abjuré son Dieu, repoussé les limites que ce dernier lui imposait. Faust n’est pas un simple pécheur, il est un de ces démons qui ont suivi Lucifer dans sa rébellion et qui furent condamnés à choir avec lui. Le savoir exclut donc du royaume d’un Dieu en qui il empêche de croire (rappelons que Marlowe est athée). Voici Faust du côté des criminels, des fous, et selon Mann, des artistes.

Au-delà de cela, le Faust rejeté de Dieu devient lui-même un maître, ce qui implique de transmettre ses connaissances. Marlowe insiste sur ces passages du Volksbuch dans lesquels on voit Faustus en compagnie d’étudiants : le savoir doit être transmis (Goethe creusera cet aspect en développant la relation de Faust et Wagner - ce dernier n’apparaît chez Marlowe que dans des scènes de farce dans lesquelles il fait valoir son maigre talent). Faust le savant, Faust le damné revêt même un caractère sacré lorsqu’avant de mourir, il écarte ses disciples dans le double but de les protéger et de ne pas les rendre témoins de sa chute.

Pour finir, il faut aussi dire un mot de la présentation qui est faite par Jean-Louis Backès dans cette belle édition et qui revient longuement à la fois sur ce que l’on sait du vrai Faustus (Georgius) et en quoi son histoire diffère de celle qui nous est ici contée, et sur l’identité du possible auteur du Volksbuch. Quelques informations sont aussi présentes à propos de la traduction.

En somme, cette édition est un indispensable pour qui s’intéresse au mythe de Faust et souhaite en connaître l’origine. Elle permet aussi d’aller plus loin dans la lecture de l’oeuvre de Mann, ce qui est un immense plaisir justifiant à lui seul l’acquisition du livre. On peut aussi penser que William Blake y a jeté un oeil avant d'écrire son Mariage du ciel et de l'enfer et que la liste des artistes en tout genre qui ont suivi son exemple ne s'arrête sans doute pas là. Pour le béotien qui n’aurait pas lu Mann et ne s’intéresserait pas particulièrement à l’histoire de Faustus, par contre, le livre ne présentera que peu d’intérêt : tout juste y trouvera-t-il quelques farces racontées dans un style archaïque, un conte mâtiné de superstition religieuse et tout de même la tragédie d’un auteur classique et trop méconnu du fait d’un certain Shakespeare qui le recouvre de son ombre. C’est toujours ça de pris, certes, mais cette édition est du coup certainement à réserver en priorité à un public intéressé.

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