Le Seigneur vous le rendra
de Mahi Binebine

critiqué par Pucksimberg, le 30 janvier 2013
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Une enfance pas comme les autres
« Exercer correctement le métier de bébé n’est pas donné à tout le monde. » Et pour cause ! Le narrateur de ce roman est ce pauvre bébé qu’une mère loue à des mendiantes afin de susciter la pitié et la tendresse des passants grâce à sa jolie bouille et son regard accrocheur. Ce petit commerce est fort rentable, mais le temps joue contre cette maman marocaine. Le nourrisson, naturellement, tend à grandir. Afin d’empêcher sa croissance, elle l’enserre dans des bandes quitte à déformer son pauvre fils qui ressemble davantage à une momie qu’à un bébé. Le narrateur du début du roman, peu conscient d’être une victime et un simple enjeu commercial, suit les conseils de sa mère autoritaire en bon petit soldat, prend volontiers des postures qui masquent sa croissance, joue au bébé alors qu’il a trois ans et en profite pour tâter la plus secrète intimité des femmes … P’tit pain, tel est son surnom, n’œuvre pas seul, son frère Tachfine l’accompagne, l’épaule. Ses grandes sœurs, elles, n’ont pas à mendier. Dans ce roman passionnant, le lecteur suit les manigances de cette mère, ainsi que le quotidien de la famille de P’tit pain, mais l’on suit surtout avec une grande curiosité et une sympathie non dissimulée ce bébé qui deviendra grand et qui par la découverte de la littérature va modifier son regard sur le monde et sur sa mère.

Ce roman est captivant ! Il est difficile de le poser sans mourir d’envie de connaître la suite. Contrairement aux apparences, le roman contient de l’humour, une certaine dose d’humanité qui fait que l’on ne bascule aucunement dans le pathétique ou le sordide. P’tit pain ne se plaint pas, voire pas du tout, il fait de nombreuses rencontres et certaines figures évoquées dans ce roman restent inoubliables.

L’écriture, à la fois poétique et à la fois simple, est appréciable, elle parvient à emporter le lecteur dans cet univers. On imagine le plaisir de Binebine à trouver le mot juste. L’écrivain renoue avec les grands récits en engendrant des personnages au caractère trempé, un héros qui marque les esprits et dont la destinée est tout simplement romanesque ! Mahi Binebine parvient à évoquer des horreurs sans terrifier le lecteur, à nous toucher par des scènes d’une vérité criante et l’on suit les personnages avec un grand plaisir.

Ce roman est aussi sensuel. Il est question de femmes, du corps et de ses effluves, de moiteur. Ce rapport au corps est fascinant et les personnages, très tactiles, s’expriment parfaitement par le langage corporel, aussi bien pour la lutte que pour l’amour. On reconnaît ici l’artiste ( Mahi Binebine peint aussi ! ) qui donne un caractère pictural à son roman et permet par ce fait de découvrir une Marrakech mise à nu par l’auteur.

Je ne connaissais pas cet auteur, mais j’ai vraiment hâte de lire ses autres romans, déjà nombreux !