Les étapes de la pensée psychanalytique de David Muhlmann

Les étapes de la pensée psychanalytique de David Muhlmann

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Psychologie , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Ellane92, le 4 février 2013 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 49 ans)
La note : 7 étoiles
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de grandes qualités mais des défauts rédhibitoires

Ecrit par un sociologue, "Les étapes de la pensée psychanalytique" décrypte, sur la base des écrits des psychanalystes les plus représentatifs de leur courant, comment la psychanalyse a été conçue et s'est développée, en mettant l'accent sur la naissance, les fondamentaux et l'organisation de ce mouvement par Freud, puis sur ses continuateurs et ses dissidents.

La première et à mon sens la plus réussie des parties qui composent l'ouvrage traite de "La naissance de la psychanalyse et du mouvement psychanalytique". Cette partie pose les fondamentaux de la psychanalyse au travers des textes fondateurs de Freud. Cette partie montre que l'originalité de Freud se situe dans l'importance qu'il accorde à l'inconscient, au primat de la sexualité et des phénomènes pulsionnels. Il démontre également, au travers de l'analyse bibliographique, que la théorie et la pensée freudiennes ne sont pas figées, et comment elles évoluent dans le temps, notamment en exposant les raisons qui ont amené Freud à passer de la première topique (conscient, inconscient, subconscient) à la seconde topique (moi, ça, surmoi).
La seconde partie traite de "La constitution de la ligne orthodoxe", c'est-à-dire de la façon dont émerge le corpus psychanalytique des continuateurs freudiens. Sont cités les travaux de : Karl Abraham concernant la conception structurale de la psyché articulée autour de la théorie de la sexualité infantile et ses réflexions anthropologiques sur les fondements de notre civilisation ; Ernest Jones sur la théorie de l'angoisse et la sexualité féminine ; Sandor Ferenczi concernant l'introjection, et la relation analyste analysant et le transfert et contre transfert.
Après ces deux premières parties s'intéressant à la théorie freudienne, David Mulhmann passe en revue les différents courants qui se sont éloignés de "l'héritage freudien".
La troisième partie évoque "Les premières scissions", c'est-à-dire la rupture institutionnelle survenue à l'intérieur de l'international Psychoanalytical Association qui a engendré une reconfiguration du champ de la psychanalyse. C'est en premier lieu sur des débats d'ordre techniques qu’ont eu lieu les premières scissions, mettant l'accent sur la "hâte thérapeutique" et la guérison comme axe directeur de l'analyse. L'auteur présente l'idée de thérapie active , c’est-à-dire limitée dans le temps, défendue par Rank et Stekel, dans laquelle le psychanalyste impose une attitude interventionniste à l'analysant. Le Moi est recentré sur la notion de Conscience, impliquant une régression théorique de la deuxième à la première topique de Freud.
La quatrième partie, "Le temps des dissidences", évoque les travaux d'Adler sur la psychologie individuelle, qui met l'accent sur une psychologie humaniste et sociale, et de Jung, sur la psychologie analytique qui redéfinit le concept de libido et revoit la théorie sexuelle. Ces auteurs remettent en cause le primat de la sexualité et de l'Œdipe de la théorie freudienne.
La cinquième partie traite des "Analyses marxiste et existentielle", au travers des travaux de Reich qui portent sur l'articulation entre la psychanalyse en tant qu'économie sexuelle et la sociologie de Marx, et de Binswanger, qui vise à dépasser la théorie freudienne en l'intégrant dans une démarche anthropologique. Ces auteurs remettent en cause la place du Moi, mettant en avant l'esprit, l'intellect, et en minimisant l'importance des pulsions. L'auteur évoque également l''école personnaliste de Vienne, présentée au travers des travaux de Franckl, Caruso et Daim, qui intègre à la psychanalyse une dimension spirituelle.
La sixième partie, "Les grandes controverses sur la psyché infantile", s'intéresse à la psychanalyse des enfants et met en parallèle les théories de Mélanie Klein, continuatrice de Freud chez qui prévaut les concepts de fantasme et de relation d'objet (clivage), et celles de la fille de Freud, Anna Freud, qui se positionne plutôt dans un courant à visée éducative des enfants en mettant en avant les mécanismes de défense.
La septième partie revient dans le courant freudien et évoque "Les grands courants freudiens américains" au travers de la Self Therapy, qui se situe plutôt dans une lignée annafreudienne, et de l'Ego Therapy, pour laquelle prévaut la notion de narcissisme.
Enfin, la huitième et dernière partie de l’ouvrage présente "La théorie psychanalytique de Jacques Lacan" au travers de trois notions clés : la détermination psychique inconsciente, le topique du symbolique, de l'imaginaire et du réel, et la similarité de structure de l'inconscient et du langage. Mulhmann montre comment Lacan, s'appuyant sur l’ethnographie (Levi-Strauss) et la linguistique (de Saussure), a réussi la refonte de la théorie freudienne en faisant émerger la fonction symbolique, la réinterprétation du discours analysant avec signifié et signifiant, la distinction du Moi et du Je, l'importance structurelle du langage, l'élaboration de la forclusion , la théorisation de la notion du "nom-du-père", sans pour autant dénaturer l'héritage freudien.

Envisager la psychanalyse comme un courant sociologique me parait être une bonne idée, et "Les étapes de la pensée psychanalytique" tient cette promesse. Ce livre a à mon sens de vraies grandes qualités, et des défauts rédhibitoires.
Parmi les qualités, je citerai en premier la clarté de l'exposé de la théorie freudienne (première partie). En quelques pages, l'auteur fait le tour de cette théorie qui n'est pas si simple que ça à aborder, en donnant du sens à l'évolution de la pensée de Freud tant en tenant compte des travaux du maitre que de son contexte (les échanges avec les autres figures marquantes de l'époque, la fondation de la société de psychanalyse, le contexte de la guerre...).
Le souci de clarté et de compréhension de l'auteur fait des Etapes de la pensée psychanalytique un ouvrage qui s'adresse à tous, y compris ceux qui n'ont pas de connaissance particulière de ce domaine, et la facilité de compréhension ne dénature en rien la complexité de la théorie. Un autre point fort du livre est l’approche saine de chacune des théories dont parle l’ouvrage : Mulhmann se base sur les écrits publiés par son auteur pour présenter sa théorie. Une fois cette présentation « neutre » faite, l’auteur la confronte à la théorie freudienne, en mettant l'accent sur les rapprochements et les différences.
Concernant les défauts de l’ouvrage, je reprocherai un manque de cohérence, en tout cas, dans la présentation des arguments, sur les dernières parties de l’ouvrage. Par exemple, je n’ai pas compris en quoi les courants américains présentés pouvaient se réclamer du freudisme, puisqu’il me semble qu’ils tombent dans les mêmes écueils que les théories dites humanistes ou les travaux de Rank et Stekel (qui, pour faire vite, associent le Moi à la seule conscience).
Mais surtout, pour moi, le problème essentiel qui fait qu’une bonne partie de l’ouvrage est à ne pas prendre en compte est relatif au fait que Mulhmann se pose en champion de la cause freudienne. De ce fait, il en résulte que n'importe quelle autre théorie en rupture avec celle de Freud est jugée comme une régression théorique, quelle que soit son innovation, son rayonnement ou son utilité dans les travaux sur la psychanalyse.
Et c’est ce jugement « partial » qui m’a finalement déçue.

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