Femmes entre sexe et genre
de Sylviane Agacinski

critiqué par Camarata, le 7 février 2013
( - 73 ans)


La note:  étoiles
La notion de genre a pour but de se substituer à l’identité sexuelle biologique
Dans ce livre Sylviane AGACINSKI, philosophe subtile, lucide et humaine, tente d’éclaircir la relation entre la notion de genre survenue dans les années 70 et celle d’identité sexuelle antérieurement existante.
Plusieurs personnes ont contribué à l’émergence de cette nouvelle catégorisation identitaire liée au sexe.

Le psychanalyste américain Robert Stoller qui en étudiant la transsexualité a constaté chez ses patients, l’existence d’une conscience d’appartenir à un sexe précis. Conscience indépendante de la réalité biologique, qui se manifesterait dans les 2 premières années.

Des féministes lesbiennes dont Monique WITTIG (la pensée straight) ont voulu créer un autre concept que celui de la différence des sexes. Pour nier la différence sexuelle biologique liée à l’oppression de la femme, elles ont opposé à l’hétérosexualité entachée par cette même oppression , la notion de lesbienne, c’est-à-dire homosexuelle (sexualité choisie) en opposition à hétérosexuel sexualité subie dépendant du biologique.
Les américaines avec Judith BUTLER ont emboîté le pas et perfectionné le concept. La différence sexuelle biologique liée aux capacités spécifiques de la femme n’existe pas selon elles, seules existent des figures, des représentations de la femme d’ordre culturel et social. Leurs mot d’ordre est « la nature n’est rien, tout est culture ».
La femme ayant été, lors des siècles d’oppressions, réduite à son corps et à la gestation, ces féministes rejettent en bloc toute idée de destin ou nature biologique sexuelle et y substituent de manière volontaire et militante le genre.

Le genre représente le sexe culturel vers lequel l’individu se sent porté quel que soit son sexe biologique. La féminité devient une image, un comportement social et culturel et surtout pas une capacité d’enfanter. L’orientation sexuelle supplante le sexe biologique et s’y substitue, effaçant ainsi la cause de l’asservissement, la gestation.

Tous ces courants ont comme point commun de vouloir présenter la différence sexuelle comme un continuum sans rupture réglé par la quantité plus ou moins importante d’hormones.
Ils analysent cette expression essentielle du vivant de manière erronée. Ils se mettent à la mauvaise place en se positionnant comme des physiciens, qui par le fait (obligé) de décomposer la matière, ne font pas de différence entre vivant ou inerte. Alors qu’il convient d’adopter le point de vue de la biologie, science du vivant, qui prend en compte non pas la seule matérialité d’un organisme, mais l’organisation propre d’un être vivant, ses capacités communes, stables et pérennes, qui permettent d’établir scientifiquement, un groupe différent d’un autre. Les exceptions, inhérentes au vivant ne remettant pas en cause la validité d’un groupe.

Je comprends très bien ce cheminement fourvoyé de la pensée, ce cheminement orienté par la propension de l’être humain à créer une réalité conforme à ses désirs , mais je comprends moins bien comment cette théorie s’est imposé à toute la société.
Car il me semble que cette notion de genre fonctionne déjà dans nos institutions, en effet, j’ai appris qu’il était possible de changer de sexe à l’état civil, avec l’accord des psychiatres et à la condition d’être opéré, la castration pour les hommes et l’hystérectomie pour les femmes. Outre que les conditions exigées me paraissent barbares, la loi semble dire que l’identité sexuelle n’est pas liée aux capacités biologiques propres aux deux sexes, mais à des apparences externes, des comportements, des sentiments d’appartenance, en quelque sorte le genre.

La loi influençant fortement les représentations symboliques, c’est-à-dire la morale, l’éthique, la manière d’interpréter la réalité, cela renforce la séparation du culturel et du biologique, donc la domination du genre.

Sylvianne AGACINSKI ne nie pas que la féminité et la masculinité sont en partie des constructions culturelles et sociales, façonnées par l’histoire, mais elle récuse le fait qu’elles soient totalement déliées de leurs supports biologiques ainsi que cela se produit dans le concept de genre. Elle pense que ce concept est une subversion du féminisme qui par ailleurs, laisse les femmes désarmées, puisque cette idéologie affirme que les femmes n’ont plus rien en commun. Alors pourquoi et comment lutter si on n'a plus rien en commun ?

Sylvianne AGACINSKI rappelle l’évolution de la notion de la dualité féminin- masculin dans l’histoire, où domine l’exploitation de la femme par l’homme.
Dans La mythologie platonicienne le mâle est l’homme générique ayant des vertus positives, force, richesse, courage, volonté, la femme n’étant qu’une forme dérivée, secondaire et déficiente.

Dans le droit romain l’époux a des droits exclusifs sur tout enfant porté par son épouse et c’est pour cela que fut créé le concept juridique de « venter » ventre, désignant la matrice et son contenu, dépendant légalement du père et indépendant de la volonté maternelle.
Je trouve que cela fait incroyablement écho au contrat signé par les mères porteuses. Le « venter » n’étant plus propriété du mari mais du payeur, pour la durée de la gestation. L’exploitation change de forme mais elle continue et toujours pour la même raison, l’appropriation des fonctions reproductives et de la filiation.

La notion de genre qui tend à nier la différence sexuelle, à la rabaisser parce étant biologique, animale, est un piège pour les femmes car elle brouille la compréhension des véritables enjeux, l’appropriation de la gestation par les dominants ou par le fric plus trivialement.

« Aujourd’hui, les femmes sont ingrates avec leur puissance propre, parce qu’elle leur a longtemps été confisquée. Mais elle peut l’être encore, et elle le sera d’autant plus que l’on réussira à convaincre les femmes qu’elles sont des hommes comme les autres .Car elles seront à nouveau prêtes à se détacher de leur corps pour en faire un bien disponible, monnayable, étranger à leur vie, à leurs désirs et à leurs plaisirs. »


J’ai essayé de mettre en relief les éléments les plus signifiants de ce livre qui m’a beaucoup éclairée, et permis d’organiser des intuitions disparates et contradictoires.
Le langage de Sylvianne AGACINSKI est clair et compréhensible. Du fait de sa spécialité elle fait souvent allusion à des philosophes et des personnalité que je connais mal, mais cela ne gêne en rien la compréhension.
La lecture de ce livre est nécessaire, indispensable, pour essayer de comprendre les divers mouvements qui agitent notre société.