La bascule du souffle
de Herta Müller

critiqué par Septularisen, le 10 février 2013
( - - ans)


La note:  étoiles
L’ANGOISSE DES ANNÉES DE CAMP.
En janvier 1945, le général soviétique VINOGRADOV obtint du gouvernement Roumain, au nom de STALINE, que tous les Allemands vivant en Roumanie, viennent œuvrer pour la «reconstruction» de l’Union soviétique détruite par la guerre.
Tous les hommes et femmes de 17 à 45 ans furent déportés dans des camps de travaux forcés. Herta MÜLLER n’a pas connu cette période, mais sa mère y a passé 5 ans.
Voulant écrire sur cette période Herta MÜLLER a recueilli le témoignage d’Oskar PASTIOR entre 2001 et 2006 (date de sa mort) un écrivain Germano-Roumain, qui lui avait connu cette période…
A partir de ses nombreuses notes elle a tiré ce livre sur la vie quotidienne au camp.

La «bascule du souffle» est donc l’histoire Léopold (Léo) Auberg, (probablement le double d’Oskar PASTOR), qui a 17 ans en 1945, quand il est déporté de sa Transylvanie natale vers l’URSS. Il sait qu’il est sur la liste des personnes que le «nouvel allié soviétique» se prépare à venir chercher… Il prépare donc tranquillement sa valise, avec des affaires chaudes, quelques livres, de la nourriture, des objets familiers…
Léopold restera cinq ans au camp et c’est son récit de rescapé, son histoire qu’il nous raconte 60 ans après…

Ce n’est pas à proprement parler un «témoignage», c’est un roman écrit à la première personne du singulier. Il ne se présente pas comme d’autres livres sur l’univers concentrationnaire, comme un témoignage sur les camps, c’est un récit composé de courts chapitres (parfois une page), qui se présentent comme une histoire morcelée par fragments, une photographie instantanée sur un moment (les saisons, Noël…), un objet (le ciment, la pelle, le bois, le mouchoir…), un lieu (La cimenterie, les baraquements, la tuilerie, l’usine de charbon…), un évènement (la mort d’une détenue, le vol du pain, les dix roubles trouvés par terre…) et bien sûr le quotidien (la soupe, le pain, les vêtements…)…

Comme toujours avec Herta MÜLLER, il faut un petit moment pour s’habituer au style très particulier de l’écrivain Allemand. Certains passages sont à relire pour appréhender, et maitriser leur beauté. Les digressions sont nombreuses, l’auteur commence parfois une histoire, passe à une autre, puis revient à la première, cette façon de procéder m’est pas sans rappeler celle de William FAULKNER. L’écriture n’est pas poétique, elle est sèche, dure, puissante, toujours surprenante et très bien adaptée aux descriptions qui nous sont proposées.
Ils ne faut pas perdre de vue que même si cela se présente différemment par rapport à d’autres livres sur le même milieu, ce qui nous est décrit ici est quand même l’univers carcéral d’un camp de concentration avec ses corollaires : la mort, le typhus, les diarrhées, les poux, la faim, le froid, le travail obligatoire, les morts qu’on dépouille de leurs vêtements… etc, etc…

Avec «La Bascule du souffle» Herta MÜLLER nous invite à lire un conte cruel, une fable sur la condition humaine, une œuvre d’une portée universelle. Un livre bouleversant!...

Un court extrait :
«Au camp, nous avons appris à dépouiller les morts sans avoir le frisson. On les déshabille avant le début de la rigidité, leurs vêtements nous empêchent de mourir de froid. Et nous mangeons leur quignon de pain. Après le dernier soupir, la mort est un bénéfice pour nous… ».
Un souffle oriental, entre Roumanie et Sibérie. 9 étoiles

Je ne connais pas encore les autres œuvres de Herta Müller mais « La bascule du souffle » pourrait bien être son « Archipel du goulag » à elle. Herta Müller est née en Roumanie, de la minorité des Souabes, de langue allemande. Elle a fini par émigrer en Allemagne – de l’Ouest à l’époque – pour fuir les persécutions et elle sait de quoi elle parle dans cet ouvrage où il est question de la déportation subie en 1945, la guerre étant gagnée par les Alliés – et donc les Russes – de la minorité de langue allemande ; les Souabes, déportée en Sibérie un peu à titre de dommages de guerre pour travailler ( ?) dans des conditions effroyables, qui au charbon, qui à la cimenterie, en fait et pour faire court dans des camps de déportation où les « chances » de mourir de faim ou de mauvais traitements avaient une bonne probabilité !
Herta Müller nous explique en postface la genèse de l’ouvrage, largement né des conversations qu’elle a pu avoir avec Oskar Pastior, un rescapé, mort avant l’édition de « La bascule du souffle » :

« Tous les hommes et les femmes de dix-sept à quarante-cinq ans furent déportés dans des camps de travaux forcés.
Ma mère y a passé cinq ans.
La déportation étant un sujet tabou dans la mesure où elle évoquait le passé fasciste de la Roumanie, on ne parlait des années de camp que par sous-entendus, en famille, ou avec des amis intimes qui avaient connu le même sort. Mon enfance a été imprégnée de ces conversations furtives. Si je n’en comprenais pas la teneur, j’en percevais l’angoisse.
En 2001, j’ai commencé à m’entretenir avec d’anciens déportés de mon village, en prenant des notes. Sachant qu’Oskar Pastior avait lui aussi été interné, je lui ai dit que j’aimerais écrire un livre sur ses années de camp, et il a accepté de me confier ses souvenirs. Nous nous rencontrions régulièrement, et je notais ce qu’il me racontait. Très vite, l’envie nous est venue d’écrire un livre ensemble. »

C’est donc sans concessions qu’elle relate ce que pouvait représenter une telle déportation de plusieurs années, comment survivre ? comment revenir ? via les yeux de Léopold, un jeune garçon de dix-sept ans. De courts chapitres comme autant de micro-évènements, non dénués de poésie et de lueurs d’espoir malgré le tragique du propos. Il y a là la sauvagerie du lieu – la Sibérie – des hommes – les déportés entre eux, les gardes – la loterie du coup de chance ou du destin tragique … et puis de manière intermittente une petite voix qui souffle à Léopold qu’il vit encore, que peut-être ceci aura une fin …
De fait ceci aura une fin mais une autre grave question surgit alors. Sans réponse apparemment : comment vivre avec ça, après … ?

Tistou - - 68 ans - 20 juin 2013