O.D.E.SS.A., Tome 1 :
de Michel Dufranne (Scénario), Peka (Dessin)

critiqué par Shelton, le 23 février 2013
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Passionant et tragique...
Tout d’abord, une grande précision d’importance pour les nombreux lecteurs potentiels de cette série de qualité, il n’y aura que deux volumes, oui, dès maintenant, l’histoire est terminée et donc elle peut être lue en une seule fois ! J’aime beaucoup ce concept car en période de crise il faut faire des choix et le lecteur a toujours un peu de mal à commencer une nouvelle série sans savoir où cela va le mener… Les one-shot, diptyques ou triptyques sont au moins des projets raisonnables pour le portemonnaie des lecteurs, des familles, à terme pour l’ensemble de la bande dessinée… J’ai de plus en plus de doute sur ces séries au long cours, même si j’ai encore quelques lectures dans ce domaine, ne le nions pas… Voilà, en tous cas, ODESSA est une histoire en deux volumes et ces deux albums sont dès maintenant disponibles ce qui est aussi une bonne chose…

L’histoire est ambitieuse ce qui ne surprend pas de la part du scénariste Michel Defranne qui aime ce genre de défis. Le contexte est simple et il part d’un fait d’une banalité certaine : une femme âgée est en train de mourir. Elle a eu trois enfants, trois garçons, qui pendant la guerre, la seconde guerre mondiale, se sont retrouvés dans trois camps différents si on peut dire. L’un a fait le STO, un autre la résistance et le troisième, dont on ne prononce plus le nom, a collaboré avec les nazis allant jusqu’à revêtir l’uniforme de la SS… Or, la mère, avant d’entrer en agonie, veut revoir, une dernière fois, ces trois garçons… Pour des circonstances que vous découvrirez, c’est André, le résistant, qui va partir à la recherche de Charles, le damné. D’ailleurs, est-il mort ? En exil ? Prisonnier ou oublié quelque part ? C’est l’enjeu de cette histoire, partir à sa recherche et découvrir ainsi les filières qui ont tenté de protéger les criminels de guerre après-guerre…

Le scénario est très bien construit avec des flashes-back qui permettent à certains témoins de donner des bribes de l’histoire de Charles, de permettre ainsi de découvrir ses motivations, les circonstances de sa vie, de ses engagements, de ses trahisons ou grandeurs car personne n’est blanc ou noir à cent pour cent !

Mais précisons bien que nous ne sommes pas dans un récit strictement historique. En fait, cette histoire, cette bande dessinée, est avant toute chose un drame familial. André a donné sa parole à sa mère : il va tout faire pour retrouver Charles. Ce n’est pas une promesse en l’air, c’est un engagement à la vie à la mort car le chemin qui mène à son frère est parsemé d’embûches, de traitrises, de salauds, de dangers… Mais le héros est têtu, courageux, inconscient même…

La narration graphique proposée est très forte car je trouve que le scénario et le dessin vont parfaitement ensemble. Peka signe ici sa première bande dessinée en France et c’est l’occasion de découvrir un auteur qui rend les émotions à la perfection. Le dessin d’un abord réaliste est, en fait, un concentré violent d’émotion où certaines parties du corps deviennent support de cette force narrative. Les mains, les visages, entre autres, sont parties intégrantes du récit. Un gros plan signé Peka en dit souvent beaucoup plus long qu’une rafale de phrases… Et la bande dessinée raconte avec texte et dessin, cette bande dessinée en est la parfaite illustration…

Enfin, ce premier album, nous fera un peu voyager en Belgique, ce qui permettra à cette bande dessinée d’appartenir à l’univers franco-belge sans aucun doute… C’est aussi une façon de montrer que les pays occupés par le nazisme ont connu des difficultés identiques mais avec des spécificités nationales, des intérêts divergents parfois. Après la guerre, il semble que les collaborateurs aient trouvé des protections, des aides, plus globalisées…

C’est aussi un des aspects de cette bande dessinée que d’évoquer les filières d’évasion d’Europe pour tous ces nazis vaincus qui risquaient la peine de mort un peu partout. Il y eut alors, comme pendant la phase d’occupation, des alliances entre politiques, églises, banditisme et paumés de tout genre… Je dis bien paumés car ces jeunes qui sont devenus résistants ou collabos n’étaient parfois que fort peu différents, sans idées politiques particulières et leurs engagements se sont joués à un petit rien… Une aide, un geste, un mot… Quelle différence entre Charles et André ? Rien ? Ou tout ? A chaque lecteur de choisir, mais il semble bien que le point commun soit d’avoir cherché à vivre, à trouver un idéal, à s’être donné un sens à sa vie… Et en final, ils ont peut-être gaspillé leur jeunesse, condamné leur vie…

Une très belle bande dessinée, à lire, à réfléchir et partager en famille… une même famille, trois frère, plusieurs destins…