La Belgique et la Grande Guerre
de Michaël Bourlet

critiqué par JulesRomans, le 5 mars 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Ce pouvoir n'est pas une autorité légitime ...
Voilà un ouvrage très bien fait, il est abordable par tous ceux qui ont des notions de base sur la Grande Guerre et il fait la synthèse de très bonnes recherches (de niveau universitaire) de plus l’auteur a consulté quelques archives françaises de l’armée. Les habitants de la Belgique sont le peuple qui souffre le plus dans la Première Guerre mondiale dans leurs conditions matérielles. En effet l’Allemagne pille totalement le pays, entre 1940 et 1944 les civils belges souffriront beaucoup moins car la razzia s’effectue en priorité en France avec la complicité de son gouvernement officiel. "La Belgique et la Grande Guerre" évoque a contrario comment les autorités municipales belges, seules représentantes légitimes restées au pays, surent contenir une partie des appétits allemands.

En effet la Belgique dans la guerre c’est à la fois les Belges restés au pays, les Belges réfugiés, des Belges déportés en Allemagne et les Belges combattants. Sainte-Adresse (près du Havre) devient le lieu où siège le gouvernement en exil ; le roi des Belges est la majeure partie du temps sur un front boueux (on a ouvert les vannes pour se protéger d’une offensive allemande) avec ses soldats à tenir hors de l’occupation environ 5 % de l’état belge.

Les réfugiés sont essentiellement dans trois pays : Angleterre, France et Pays-Bas ; on compte parmi eux des hommes qui en raison du système de conscription en usage avant 1913 n’ont jamais fait leur service militaire. Or ils sont, aux yeux des Anglais et Français, susceptibles d’aller se battre, ce que rien ne les oblige jusqu’en mars 1915 et après cette date seuls les réfugiés célibataires servent au front. De plus certains, ne s’étant pas fait recenser auprès de leur consulat, échappent à la connaissance de leur gouvernement. Bref les hommes belges, même travaillant dans les usines d’armement, sont globalement mal vus par les populations britanniques et françaises. L’ouvrage ne le dit pas mais si Dorgelès a choisi dans les "Croix de Bois" de raconter qu’un réfugié belge vole la femme d’un poilu, ce n’est pas par hasard. Il est d’ailleurs à noter que vu le déroulement des opérations en Belgique (c’est la région wallonne qui est occupée en premier) la majorité des Belges réfugiés sont de langue flamande.

On notera cinq pages (136 à 141) qui font bien l’histoire des autos-canons-mitrailleuses belges depuis leur création dès septembre 1914 jusqu’à septembre 1915 où elles combattent sur le front ouest puis de cette date jusqu’aux premiers jours de juillet 1918 (où ce corps est dissous). Durant cette seconde période elles sont engagées sur le front russe. Ses soldats font face en 1917 aux conséquences de la révolution bolchévique et empruntant le Transsibérien, ils se retrouvent à Vladivostok début avril 1918 puis à San Francisco le mois suivant, embarquent à New York pour Bordeaux. Une belle boucle autour de la terre !

L’ouvrage essaie de dresser un bilan des dommages qu’a connus le pays du fait de la guerre, il est très lourd. Aussi la Belgique espère beaucoup de l’argent des réparations qui viendra dans des proportions bien minimes ; les compensations territoriales seront très limités tant en Europe (où elle gagne une minorité germanophone sur une mince bande tout au long de sa frontière avec l'Allemagne) qu’en Afrique (Rwanda et Burundi). Elles ne sont pas à la hauteur des dirigeants belges qui se voyaient amputer les Pays-Bas de deux provinces et annexer le Luxembourg. Pour un pays qui s’était offusqué d’avoir été envahi en violation du droit international, ces dernières revendications ne manquaient pas de sel !

Bref voilà un ouvrage fort plaisant à lire et qui permet de mieux approcher un moment capital d’un pays. La revendication culturelle flamande fut certes encouragée par les autorités allemandes mais nul doute que les soldats belges ne maîtrisant pas le français souffrirent beaucoup dans l'armée.

N.B. "Ce pouvoir n'est pas une autorité légitime ..." est le début d'une phrase de la lettre pastorale de 1914 du cardinal Mercier appelant à ne pas respecter les demandes des occupants du pays