Marx et l'Histoire
de Eric John Hobsbawm

critiqué par Bolcho, le 24 mars 2013
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Historiens de tous les pays, unissez-vous !

Par le biais de dix articles-conférences très brillants, le grand historien anglais, qui vient de disparaître en 2012, évoque la contribution essentielle de Marx à l'histoire, ou plutôt à la manière d'envisager l'histoire. Mais tous ces articles ne sont pas – loin de là – centrés sur Marx (pas de panique !).

Il rappelle au passage que nous nous enfonçons dans la barbarie : avant 1914, tous les combattants (Etats ou « rebelles ») ne visaient que d'autres combattants. Mais les démocraties ont besoin d'ennemis diabolisés, ce qui découle du concept même de guerre de mobilisation nationale.

Il nous dit à plusieurs reprises aussi que les historiens fournissent la matière qui permettra à d'autres de produire des mythes. Renan le pensait aussi : « L'oubli, et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation ». Et l'école est le principal vecteur de ces contes de fées...

Et aussi : sur les mythologies historiques, sur l'Europe et son histoire singulière, sur l'histoire populaire...

Bon, revenons au marxisme.
La conception matérialiste de l'histoire est essentiellement orientée contre la croyance selon laquelle les idées, les pensées, les concepts déterminent et dominent les hommes, leur condition matérielle et leur vie réelle. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience.
La conception matérialiste de l'histoire est le fondement de l'explication historique, mais pas l'explication historique elle-même. Même les tenants les plus rigides du matérialisme historique ont pris en compte le rôle de l'accident et de l'individu dans l'histoire. Il reste que l'analyse de toute société doit commencer par l'analyse de son mode de production, de sa technologie, de son organisation sociale, de son économie.
Marx est le seul a avoir tenté de formuler une approche méthodologique de l'histoire dans son ensemble.
Il a ainsi permis de moderniser l'écriture de l'histoire, y compris chez ceux qui ne le suivent absolument pas dans les réponses qu'il a apportées.
C'est au point qu'il est devenu souvent impossible de dire aujourd'hui si un ouvrage particulier a été écrit par un marxiste ou un non-marxiste.

J'aime beaucoup la conclusion de Hobsbawm.

« Une bonne partie de ma vie, probablement la plus grande part de ma vie consciente, a été vouée à un espoir manifestement déçu, à une cause qui a manifestement échoué : le communisme initié par la Révolution d'octobre. Mais rien n'aiguise l'esprit de l'historien comme la défaite. »

Et de conclure par une citation d'un historien « aux convictions très différentes », Reinhard Koselleck : « L'historien qui se trouve dans le camp des vainqueurs est facilement enclin à interpréter le succès à court terme d'après les constatations d'une téléologie à long terme. Ce n'est pas le cas des vaincus. Leur expérience principale, c'est que tout est arrivé autrement qu'espéré ou prévu. (...) Ils ont besoin d'expliquer pourquoi ce qui s'est produit n'est pas ce qu'ils attendaient. Cela peut stimuler la recherche (...) suscitant ainsi des idées plus durables qui auront par voie de conséquence un pouvoir d'explication plus important. A court terme, l'histoire peut être faite par les vainqueurs. A long terme, les avancées de la compréhension historique sont venues des vaincus ».