La lente découverte de l'étrangeté de Victor Teboul

La lente découverte de l'étrangeté de Victor Teboul

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 7 avril 2013 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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L'Identité d'un enfant juif en exil

Ce roman raconte les pérégrinations de la famille de l’auteur, qui ont finalement abouti à Montréal en 1963. Victor Teboul y développe le thème de l'exil à travers le vécu de Maurice Ben Haïm, un petit juif de dix ans.

Né à Misraïms (Égypte en hébreu), le héros mène une vie heureuse entre une mère grecque et un père tunisien, devenu le roi de la cellophane au pays des pharaons. Considérés comme des étrangers même s'ils sont établis à Alexandrie depuis deux générations, ces juifs sont obligés de quitter leur ville alors qu'éclate la crise du canal de Suez en 1956. C'est le départ obligé vers la France, d'où le père réorganise la vie des siens en les emmenant à Beyrouth. Quand la guigne court après quelqu'un, elle le rejoint où qu'il soit. La guerre du Liban repousse la famille de nouveau vers la France, qui ferme cette fois-ci sa frontière aux détenteurs de passeport de la Tunisie, ennemie à l'époque du coq gaulois. Ils retraversent la Méditerranée pour débarquer sur une terre ancestrale qui leur est inconnue. C'est ainsi qu'on subit les dommages collatéraux issus de conflits meurtriers à propos d'un passage maritime et d'une appartenance religieuse.

Perturbé par cette conjoncture, Maurice ne peut repérer les balises capables de délimiter son sentier. Le « qui suis-je » est une question capitale à l'âge de la différence qui amène les pubères à se définir. Cet « afrit » (ce petit diable) doit se trouver une identité nationale, distinguer la spécificité de sa religion au contact des musulmans et des chrétiens, affronter en plus les métamorphoses afférentes à son âge. On ne passe pas de l'enfance à l'adolescence sans que la sexualité devienne une préoccupation angoissante. Ya Rab ! Mon Dieu, que la vie est difficile !

Elle l'est d'autant plus du fait que son père n'éprouve pas de problèmes d'adaptation. Le jeune héros aimerait bien le voir réagir violemment contre l'humiliation subie par sa famille. Au contraire, il jette facilement le voile sur les offenses, comme le prescrit un proverbe juif. La relation filiale est ainsi entachée par cette indifférence paternelle devant ce qu'il vit. Ce n'est qu'en 1990 que Maurice exigera de son père les motifs de sa conduite lors de leurs pérégrinations. Les justifications obtenues forment des chapitres qui s'entrecroisent avec ceux du récit afin d'éclairer chacun des déplacements. Le roman se présente donc comme un balancier qui oscille dans le temps.

Avec une plume dépouillée et efficace, Victor Teboul trace le portrait d'une victime des enjeux politiques comme l'a fait Wajdi Mouawad d'un petit Libanais du même âge dans Visage retrouvé. Lors des conflits, on ne parle jamais des conséquences sur les jeunes en voie de devenir adulte. Leur évolution est suspendue. Ya hasra ! Que c'est dommage ! Le petit juif du roman est placé dans un dilemme inextricable.

En somme, c'est un apatride polyglotte. Ce n'est que lentement qu'il découvre son « étrangeté ». Il parvient finalement à se définir comme un francophone sans terreau. On comprend que, rendu au Québec, il se prononce en faveur de l'indépendance de sa terre d'adoption pour se donner un pays qui répond à son choix linguistique alors que son père joue au trictrac avec des amis musulmans dans les aires de restauration d'un grand centre commercial.

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