Dol de Philippe Squarzoni

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers

Critiqué par Blue Boy, le 20 avril 2013 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 3 517 

Un autre monde est (toujours) possible

Depuis une trentaine d’années, le capitalisme financier mondialisé n’a cessé et continue toujours de saper les fondements de nos démocraties à coup de privatisations et de démantèlement de l’état providence. Le politique s’est vu de plus en plus cantonné à un rôle de gestionnaire et de chien de garde de la Bourse, résigné à n’agir que sur les questions de société. Résultat : l’écart entre riches et pauvres s’est creusé dramatiquement, licenciements et chômage ont explosé fortement. Nous vivons dans un monde où le citoyen n’est plus qu’un consommateur aveuglé par le tohu-bohu médiatique, où les élections prétendument démocratiques sont devenues le paravent d’un système brutal, mortifère et cynique. Dans ce pavé pertinemment illustré, Philippe Squarzoni dresse un constat lucide sur l’état de la France, contaminée elle aussi par le fléau, et nous invite à une prise de conscience salutaire, pour tenter peut-être de reprendre le contrôle de notre destinée commune, prisonnière des griffes d’un système immoral et sans âme.


Si ce docu-BD semble reprendre la ligne éditoriale du Monde diplomatique, cela n’est guère surprenant quand on sait que Phillippe Squarzoni est membre d’Attac. Cet ouvrage est un peu une sorte de condensé des articles publiés dans le mensuel, réputé pour son sérieux et ses plumes de renom. Tout en en conservant l’esprit, l’auteur a tenté de relever le défi d’associer des thèses a priori austères au langage plus ludique de la BD. Et globalement, il y parvient plutôt bien, à l’aide d’un trait réaliste et sobre, en noir et blanc, en truffant les pages de références au cinéma (notamment Les Raisins de la colère, Charlie Chaplin, Matrix, Star Wars, Shrek…), en incrustant des titres de journaux et des photos célèbres (ou en les dessinant). Si les illustrations répondent de façon souvent pertinente aux textes, parfois avec un humour à froid et subtil, on pourra objecter que les phases où des personnalités sont interviewées sont un peu monotones (sur deux ou quatre pages on voit juste l’intervenant représenté avec peu de variantes dans les expressions). A cet égard, je ne vois pas bien ce que le dessin apporte…

De la même façon, pour ce qui est de la structure du récit, le découpage en chapitres non titrés semble avoir été fait de manière aléatoire, donc n’apporte rien non plus d’après moi. Mais évidemment, cela ne gêne en rien la compréhension de l’analyse qui est développée. Dans l’ensemble, c’est quand même très bien fait, et je recommande sa lecture à ceux qui ont entendu parler du Monde Diplomatique mais sont apeurés par sa consistance (mais bien sûr aussi à tous les autres !)

Attention, on n’est pas pour autant dans le divertissement, même si le dessin allège le propos. Mais après ça, on se sent beaucoup plus intelligent et mieux armé pour appréhender le chaos mondialisé. Comme le disait très justement Ignacio Ramonet, directeur du MD : « S’informer fatigue ». Mais il faut parfois savoir mettre de côté la playstation ou le dernier Voici. Sortir enfin de la paresse intellectuelle. Ceux qui sont en quête d’une transition douce trouveront en ce livre un bon compromis. Lequel se termine par un constat peu réjouissant de la situation actuelle, mais sans pour autant sombrer dans le pessimisme. Pour trouver de nouvelles pistes permettant de sortir de l’ornière, il faut d’abord prendre conscience des causes du mal. L’auteur ne propose pas de solutions toutes faites, mais conclut de façon ouverte, associant dans un joli clin d’œil les Lumières de Voltaire à un maître Yoda déterminé à « faire la clarté » pour connaître son ennemi et ainsi mieux l’écraser. Et si nous étions tous des chevaliers Jedi qui s’ignorent ?

Pour la petite histoire, je venais à peine d’attaquer cet ouvrage que la mort de Margaret Thatcher fut annoncée. J’adore ce genre de petites coïncidences… Car s’il y a bien une personne qui symbolise le libéralisme triomphant et destructeur décrit dans cette BD, c’est bien elle, la Dame de fer, amie des dictateurs et des banquiers, ennemie des peuples.

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