Le parapluie de Piccadilly
de Jaroslav Seifert

critiqué par Septularisen, le 5 mai 2013
( - - ans)


La note:  étoiles
LE POÈTE QUI S’ADRESSE DIRECTEMENT A… VOUS!
La vie et la poésie de Jaroslav SEIFERT, suivent les mêmes jalons que l’histoire de son pays… pratiquement effacé de l’histoire de son pays, à cause de ses opinions politiques, il reste être, encore aujourd'hui, la conscience morale de son pays.
Le Prix Nobel de Littérature1984 le fit connaître au monde entier, mais malheureusement pratiquement aucun de ses textes n’étaient traduits à l’époque en français. Actes Sud publia alors, dans l’urgence, cette version du « Le Parapluie de Piccadilly», que Jan RUBES avait traduit deux ans plus tôt.

Ce sont des poèmes graves, somptueux, tout en images et en rythme, en hommage à Apollinaire (considéré comme le Dieu des poètes par les poétistes Tchèques), mais comme toujours avec SEIFERT, ce sont des méditations mélancoliques d’un grand lyrisme et d’une grande simplicité.
Ils expriment une réalité poétique, mais prétendent moins changer la vie que l’embellir, car SEIFERT fut sans doute l’écrivain le moins provocateur de toute sa génération. Plus que des masses et de la foule, il préfère parler des jeunes filles, de l’enfance, de l’amour, des souvenirs, de l’histoire, de la vie de tous les jours, l’amour de son pays, la solitude, la fatalité de la mort et bien sûr, au-dessus de tout, la ville de Prague.

Paru après des années de silence presque complet («La Fonte des cloches» et «La Comète de Halley» datent de 1967, «La Colonne de la peste» de 1977 et «Le Parapluie de Piccadilly» de 1979), c’est une poésie métamorphosée et approfondie, qui si elle parle toujours des «idées basiques» de l’écrivain, se tourne maintenant vers le vécu concret, vers le passé, vers la mémoire, vers la fuite du temps… Une poésie comme une acceptation, une interrogation, un examen de conscience avant le face à face final avec la mort…

Laissons maintenant la place à la poésie, avec un extrait de ce recueil, le poème intitulé. « La fenêtre sur les ailes d’oiseaux»:

Même l’eau où se trouvaient les muguets
est empoisonnée.
Combien donc le sera le printemps tout entier!
Il pénètre les tissus
comme une bombe à neutrons
et envahit tout ce qui est vivant.
Le rocher seul ne bougera pas.
A moins qu’il ne change quelque peu
la couleur morose de son visage.

Sur mon chemin je passais à côté des plaques
portant les noms des rues,
elles n’étaient clouées qu’au vent printanier.
J’ai couru vers une seule fenêtre,
elle était bleue.
Les oiseaux me l’apportaient
sur leurs ailes.
Chaque jour un peu plus près.

Puis ma fenêtre se ferma.
Cependant, il m’arrive de la voir encore,
mais seulement quand je ferme les yeux…

Et hier, l’automne est venu.
Les raisins sont comme les glands dorés
sur le rideau
d’une troupe de comédiens amateurs
et le silence qui vient toujours avec l’automne
parle la langue natale des cimetières,
où confluent lentement
les ruisseaux de nos vies.

La douleur, je la connais bien,
c’est une sœur méchante et têtue.
La mort est un secret
qu’on paie de son horreur.
La fenêtre est démolie depuis longtemps
et les oiseaux se sont envolés vers les vignes.

Encore un moment écouter ce silence
quand les yeux croient
que la grappe bien pleine sur la branche
désire être prise.
L’homme tend sa main vers l’amour
et la femme gémit de plaisir…

Au pied des vignes coule un vieux fleuve
et tandis que le vent agite
la feuille enrouée,
ce fleuve emporte
toutes les sources douces de ce pays
à Hambourg, dans la mer sale.