De la défaite au désastre
de Jacques Benoist-Méchin

critiqué par Chene, le 20 mai 2013
(Tours - 54 ans)


La note:  étoiles
Du fourvoiement en politique d’une génération de grands auteurs
« Cet ouvrage retrace les principales péripéties d’une des périodes les plus sombres que la France ait connues. Mon récit va de la défaite métropolitaine de juin 1940, au désastre africain de novembre 1942 ». Ainsi commence « De la défaite au désastre, tome 1, les occasions manquées » de Jacques Benoist-Méchin, ancien secrétaire d’Etat de la vice-présidence du conseil du gouvernement Darlan sous Vichy. Ecrit en 1944. A chaud. Jacques Benoist Méchin s’est engagé à fond dans la politique de collaboration et défend alors un rapprochement étroit avec l’Allemagne seule issue pour la France selon lui dans cette période désastreuse. Nous avons là un témoignage exceptionnel de l’intérieur de ce qui s’est passé dans les Ministères et les arcanes de l’administration du Maréchal Pétain. Un document fort utile pour les historiens.
Comment un homme de la qualité intellectuelle de Jacques Benoist Méchin a pu se fourvoyer à ce point dans la politique de collaboration ?
Tant et si bien que certains passages ne peuvent que choquer le lecteur d’aujourd’hui.
Jacques Benoist Méchin explique ses positions stratégiques et idéologiques :
-Il y a nécessité de se rapprocher de l’Allemagne pour endiguer le fléau Bolchevique Russe.
-La politique de collaboration permettra de donner une place à la France dans l’Europe de demain.
-L’alliance de la France et de l’Allemagne permettra d’assurer l’existence de l’Europe dans le monde de demain qui sera constitué de grands blocs.
-Le pacte avec l’Allemagne permettra de sauver l’empire Français. La vocation de la France est au sud (Moyen Orient et l’Afrique), celle de l’Allemagne est à l’Est. A elles deux ces deux Nations pourront contrôler de vastes empires sans se marcher sur les pieds (ce qui n’est pas le cas avec l’Angleterre qui a les mêmes visées impériales que la France et convoite les mêmes régions du monde).
Il y ajoute le besoin d’une politique socialiste, car la Russie a montré la voie auprès des peuples, la nécessité d’une politique raciale pour éviter l’abaissement de la Nation (une Nation saine ?) etc…
Ainsi la seule façon de sauvegarder la liberté et la grandeur de la France était de se ranger au côté du Reich.
L’auteur, dans son raisonnement, occulte deux événements majeurs qui anéantiront ces certitudes : d’abord, les aspirations de liberté des peuples colonisés qui exploseront après la seconde guerre mondiale. Ensuite le débarquement américain du 6 juin 1944 que Jacques Benoist Méchin ne connaissait pas encore (le livre ayant été achevé début juin 1944) et qu’il n’avait pas du tout projeté ni même envisagé…(bien qu’il l’imagine en Afrique du Nord). Même le Maréchal Pétain préconisait un rapprochement avec les Américains dès 1942 et un éloignement avec les Allemands. Jacques Benoist Méchin au contraire s’obstine à prôner une alliance renforcée avec l’Allemagne allant même jusqu’à créer la légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF)….
Comment peut-il évoquer la liberté et la grandeur de la France grâce à l’Allemagne qui occupe alors le pays, qui prélève sans vergogne les richesses du sol, qui pille le trésor national, qui tue des français, qui détient 2 millions de prisonniers français ?
Dans les négociations, l’Allemagne ne lâche que des miettes au gouvernement de Vichy…
N’avait-il pas vu que Hitler était fou ? Lui-même s’interroge sur les buts de Hitler et notamment l’intérêt d’ouvrir un deuxième front en Russie avec l’opération Barbarossa en laissant dans son dos les Britanniques et les Américains.
Savait-il que le Reich ne rendrait jamais l’Alsace et la Lorraine annexées ? Que le Reich envisageait d’installer des colons allemands dans les Vosges et d’avoir pour esclave des français ? Savait-il que les allemands se sentaient « racialement » supérieures aux français ?
Une alliance avec l’Allemagne pour détruire les Russes, les Anglais et les Américains aurait nécessité le réarmement de la France et la constitution d’une armée française puissante. Jacques Benoist Méchin le désirait. L’Allemagne le voulait-elle vraiment ?
On a du mal à suivre ce jusqu’au boutisme forcené. Il faut noter à ce titre que cet ouvrage a été publié après sa mort à titre de témoignage sur cette époque tragique car Jacques Benoist Méchin ne souhaitait pas le rendre public de son vivant.

Dans ce volumineux ouvrage, je conserve deux chapitres étonnants : la rencontre avec Hitler dans son salon à Berchtesgarden et le chapitre consacré « au drame Syrien ». La Syrie est alors sous mandat français. Elle sera le lieu d’un affrontement entre Anglais et Français. Le 8 juin 1941, invoquant un débarquement de troupes allemandes à Lattaquié, débarquement qui s’avéra faux, les Britanniques bombardent les forces françaises en Syrie. Le gouvernement de Vichy donne l’ordre aux débris des troupes françaises sur place de résister. Une bataille navale a lieu entre marine française et anglaise. La marine anglaise doit même se retirer. A Homs, 300 légionnaires, aviateurs et sapeurs français mettent en échec 3000 britanniques (en majorité des Australiens).
A Alep, Jacques Benoist Mechin en déplacement en Syrie lors de ces événements, rencontre dans la citadelle des anciens barons francs, un jeune officier français de 25 ans en short. C’est lui qui a pour mission de tenir la citadelle. Ses forces 300 annamites indochinois rongés par la dysenterie ! « Ce jeune lieutenant de méharistes que des journalistes en mal de copie nous auraient volontiers présenté comme un descendant des Croisés, n’était plus en réalité, le défenseur de l’Occident, mais le témoin impuissant de sa décadence et de sa ruine. Le système politique sur lequel il s’appuyait n’était plus qu’un édifice lézardé, pleins de brèches et de fissures, par lesquelles s’infiltraient dans son dos, des ennemis autrement redoutables que ceux qu’il affrontait de face. C’est pourquoi il ne commandait aujourd’hui qu’à des Jaunes, dont la valeur combative était à peu près nulle. Cerné de tous côtés par la montée des périls, lui même ne comprenait pas ce qu’il lui était arrivé. »

L’auteur constate que l’Empire français est en débris. La France n’a plus les moyens de tenir son empire. La raison en est simple. La France a sacrifié son empire en concentrant toutes ses forces sur une ligne Maginot inutile braquée contre l’Allemagne.
Et c’est l’Angleterre qui a détourné la France de sa vocation coloniale en l’obligeant à monter la garde sur le Rhin face à l’Allemagne. Car les ambitions de ces deux Nations ; France et Angleterre, étaient antagonistes. En 125 ans, cinq guerres avec l’Allemagne, cinq invasions, quatre défaites et un coup nul. Cela devait cesser d’où l’alliance avec l’Allemagne.
« L’Angleterre puissance africaine et asiatique, ne tenait nullement à recommencer la lutte qui l’avait mise aux prises avec nous au XVIIe et XVIIIe siècle. Pour l’éviter, point de meilleure solution pour elle que de fixer la France en Europe, en perpétuant à l’infini ses dissensions avec l’Allemagne. En obsédant les esprits par l’imminence d’un conflit franco-allemand et en obligeant la France à monter la garde au Rhin, l’Angleterre faisait une opération des plus fructueuses ; elle se servait de nos soldats pour contenir l’expansionnisme du Reich, elle détournait la France de sa vocation impériale ; enfin elle l’obligeait à limiter le développement de sa flotte en consacrant presque toutes ses ressources à ses armements terrestres ».

Jacques Benoist Méchin démissionnera en 1942 avec l’arrivée de Laval au gouvernement car il était en désaccord avec ses idées pro-fascistes. Il sera arrêté et incarcéré à Fresnes le 22 septembre 1944. Il sera condamné à mort en 1947 pour intelligence avec l’ennemi. Il sera gracié par le président de la République Vincent Auriol et remis en liberté en 1953. De Gaulle aurait « pardonné » à Benoist-Méchin son erreur, mise au compte d'un aveuglement typique d'une époque troublée.
Il ne fera plus jamais de politique mais écrira des livres d’histoires remarquables et passionnants. Jacques Benoist Méchin est décédé en 1983. Alors quelle note donner à cet ouvrage ? Une mauvaise note pour les opinions malodorantes et le fourvoiement politique qui heurtent le lecteur ? Une bonne note pour la qualité de l’écriture ? Une note honorable pour l’intérêt historique de l’ouvrage ? Je tranche pour une note moyenne bien qu’on ne quitte pas le livre une fois qu’on l’a entre les mains.