Mes dernières années
de Osamu Dazai

critiqué par Débézed, le 22 mai 2013
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
« Solitude totale et doute universel »
« Voici un homme. Il naquit et mourut. Sa vie se passa à déchirer des brouillons de romans ratés ». Dazai présente ainsi un de ses personnages qui lui ressemble étrangement, lui, fils d’une famille importante du nord de Hondshu, qui a abandonné ses études, flirté avec le communisme et usé de la morphine. Lui qui s’est adonné très tôt à l’écriture mais a détruit beaucoup de textes avant de publier, en 1936, ce premier recueil de récits intitulé, de façon certainement prémonitoire, « Mes dernières années ». « J’ai déchiré et jeté plus d’une centaine de nouvelles, cinquante mille pages manuscrites. Et voilà tout ce qu’il reste. C’est tout… Je suis né pour écrire ce volume». Dazai c’est suicidé à trente-neuf ans après sa cinquième tentative.

Curieusement le plus long récit de ce recueil est consacré aux dernières années de l’auteur mais évoque surtout ses souvenirs d’enfance et d’adolescence jusqu’à ce qu’il mette un terme définitif à ses études. Comme si ces années, ses premières années, faisaient déjà partie des dernières, comme s’il n’avait pas l’intention de vivre longtemps. Comme si l’auteur était Dazai, enfant d’une famille possédante, mal aimé des siens, hypersensible, timide, introverti, perturbé, anxieux, connaissant souvent l’échec et ne trouvant pas sa place dans la société. Même les copains, les amis, sont souvent veulent, retors ou vicelards et les femmes, si elles sont souvent belles, sont presque toujours incultes. La nature et les paysages semblent beaucoup plus attrayants, beaucoup plus fondamentaux, Dazai leur a écrit une véritable ode les mettant au-dessus des hommes qui sont presque toujours inutiles et même nuisibles.

Dans une écriture simple, dépouillée, épurée, Dazai propose des récits très marqués par l’idée de suicide, l’échec, l’inutilité de la vie. Il y apparait souvent sous les traits de divers personnages : écrivains ratés, hommes qui ne parviennent pas à se construire, individus qui ne trouvent aucune issue à leur mal être ailleurs que dans le suicide. Ces récits sont souvent d’inspiration autobiographique et ont aussi une évidente parenté avec les légendes japonaises du nord de Honshu malgré les très nombreuses références à la littérature et la culture occidentales que l’auteur cite abondamment.

Ce recueil est aussi une vaste interrogation sur le métier d’écrivain, l’acte d’écrire, la nécessité d'écrire, l’intérêt d'écrire, ce qu’il faut écrire, comment l’écrire. Ecrire c’est montrer et l’auteur ne semble pas prêt à le faire même si la tentation de l’écriture, la tentative d’écrire, est le sujet de certaines nouvelles. « Pourquoi écrirai-je un roman ? Rêverai-je à la gloire du jeune écrivain ? Ou à l’argent ? Réponds sans jouer la comédie. Dis que tu veux les deux à la fois. » Faut-il écrire pour dire la vérité ? L’auteur s’interroge sur ces notions : vérité, apparences de la vérité, invention pure. Mais il sait bien « Que l’écrivain ne connait pas la valeur de son œuvre, c’est fatal dans un roman». « Mes regards se portent sur autre chose, de beaucoup plus vrai. L’homme. La mouche à merde qui grouille sur les marchés qu’on appelle l’homme. C’est pour cette raison que, pour moi, l’écrivain est tout. L’œuvre n’est rien». Ces récits philosophiques cherchent ainsi à expliquer les raisons de la vie, l’absence de raisons de la vie et surtout les bonnes raisons de mettre un terme à cette existence futile et inutile. « La meilleure solution serait de mourir. Mais pas seulement moi. Tous ceux qui ont une action sur le progrès social, il vaut mieux qu’ils meurent. »