Impossible de grandir de Fatou Diome

Impossible de grandir de Fatou Diome

Catégorie(s) : Littérature => Africaine , Littérature => Francophone

Critiqué par Yotoga, le 28 mai 2013 (Inscrite le 14 mai 2012, - ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 807ème position).
Visites : 6 511 

le souvenir_le passé_l'avenir

Ce livre est un roman à tiroir. L’auteure sait comment ouvrir une parenthèse de 15 pages et retomber sur ses pattes comme un chat habile de la langue française. Le résumé du livre se concentre sur comment travailler les secrets d’une enfance pour devenir adulte. L’action à Strasbourg est entrecoupée de flashback sur une enfance sénégalaise.

Si ce roman est biographique, alors l’auteur dévoile tout et règle ses comptes avec une partie de sa famille. Le lecteur sent monter petit à petit les relents frelatés de souvenirs anciens qui comme les vagues de l’atlantique déposent une petite couche blanche sur le sable et finissent par se déchainer en houle violente : c’est le règlement de compte. Il fallait que ça sorte et que ça soit dit, ou plutôt écrit. La fin du livre est vécue comme une délivrance.

J’aime le style de Diome, elle utilise toujours les métaphores précises et se réfère souvent au vocabulaire de la pêche, de l’océan. On retrouve le style de « le ventre de l’atlantique », mais avec une claire évolution, une maturité. Ce qui paraissait incontrôlé dans ses œuvres précédentes (jet philosophique comme on jette son sac, sans trame et comme une fusion de pensée) semble ici calculé et adulte. L’écriture de Diome atteint dans cette œuvre des sommets.

Sans dévoiler l’histoire, on retrouve des passages analytiques, un genre de psychanalyse personnelle sur les peurs du personnage principal Salie. Elle recherche les raisons de ces peurs et les explique honteusement en racontant son histoire. Elle écrit ce qu’elle ne pourrait jamais dire en société, ces sentiments tellement importants à ses yeux et qui seraient maltraités en public, pris en désinvolture par un public non compréhensif. Parce que les peurs liées à l’enfance devraient être surmontables en tant qu’adulte. En théorie, et dans la conscience commune, mais pas forcément en pratique et dans le sens privé. Les qu’en dira-t-on sont dans les villes sénégalaises aussi présents que dans les campagnes. L’anonymat n’existe pas quand on porte le point d’une histoire familiale atypique.

On découvre dans ce livre des rapports familiaux extrêmes, un rapport village/ville et richesse/pauvreté en parallèle avec le rapport sentiments/raison. C’est l’histoire d’une fille illégitime qui étant le fruit d’un amour défendu doit en payer le prix toute sa vie. Mais elle décide de changer le cours des choses et de sauver ses frères et sœurs d’un destin tracé. Ça ne plait pas à tout le monde.

Ce livre ne fonctionne pas avec le schéma classique des psychanalyses, avec les non-dits et les secrets familiaux. Ici, tout est su, mais rien n’a été travaillé. Parce que le moteur d’une vie, c’est de s’en sortir. Quand Salie a atteint ses buts, elle s’est retournée et a décidé de rendre des comptes. A qui doit-on une réussite personnelle ? Doit-on rendre des comptes avec ceux qui nous ont enfoncés en enfance ? Quelle dette financière peut couvrir celle du cœur ? Salie adulte dialogue avec la petite, une voie dans sa tête, elle enfant.

On ne choisit pas sa famille, mais on choisit ses amis. Ceux qui nous invitent à manger, chez eux. Et je n’ai pas compris ce rapport qu’a Salie avec son amie Marie-Odile. Marie-Odile semble une simple connaissance, pas une amie de cœur à qui on peut faire confiance. Elle représente la superficialité des rapports humains. Et pour moi, la question centrale reste : pourquoi Salie la considère comme une amie, si elle ne peut pas lui confier ses peurs, si Marie-Odile n’accepte pas Salie comme elle est et essaie tout le temps de la changer… On ne choisit pas sa famille. Mais ses amis oui. Solution à la page 400...

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Un roman philosophique

9 étoiles

Critique de CHALOT (Vaux le Pénil, Inscrit le 5 novembre 2009, 76 ans) - 17 juillet 2021

Impossible de grandir
Livre de Fatou Diome
507 pages
Collection j'ai lu chez Flammarion
Février 2021



Faut-il présenter l'auteure de ce livre, une écrivaine passionnée et passionnante qui, née au Sénégal en 1994, s'est installée à Strasbourg ?
Son héroïne -.est-ce seulement une fiction?- est invitée par une amie pour un repas amical.. Salie, c'est son nom, fuit comme la peste les sorties chez les autres et notamment les repas.
Elle n'est pas la seule... ce qui ne la transforme pas en misanthrope !
Ce livre raconte son inquiétude grandissante et les échanges qu'elle a avec son double, cette petite fille née au Sénégal.
Essayer de grandir c'est à la fois sortir définitivement de l'enfance et à la fois maintenir plus ou moins ce lien plein de souvenirs et de secrets.
Alors que d'habitude je lis un livre d'une seule traite, pour celui-ci j'ai pris mon temps lisant quelques pages et laissant le mets mijoter avant d'en reprendre une louchée. Cette œuvre est une encyclopédie philosophique extraordinaire Rien n'est à laisser. Un professeur pourrait en extraire des dizaines voire des centaines de "préceptes" ou maximes. C'est d'une richesse inestimable qui aborde toutes les questions comme l'écologie, l'obscurantisme religieux moderne une réaction par rapport même à l'animisme, l'exploitation des enfants par certaines familles...

L'auteure aime les gens, cela se sent, se goûte à toutes les pages mais avec ses mots, ses constructions de l'écriture qui donne envie d'apprendre par coeur de nombreux extraits, elle n'utilise pas la langue de bois.
Son attaque contre les mariages forcés, l'interdiction qui est faite aux jeunes filles de vivre leur vie ici et là leur sexualité est comme elle l'explique une rupture avec la liberté qui existait autrefois : " Allons donc prier sous le baobab afin que les oublieux, enfermés dans les opaques murs de leur foi d'emprunt, se réveillent enfin et se souviennent des valeurs ancestrales qui firent longtemps notre dignité. "

D'habitude je ne garde pas les livres lus, je les donne mais celui-ci restera à portée de main !
Bonne lecture
Jean-François Chalot

Afrique réelle et éternelle

8 étoiles

Critique de CC.RIDER (, Inscrit le 31 octobre 2005, 66 ans) - 5 février 2014

Installée à Strasbourg, Salie a toutes les peines du monde à accepter d'être invitée à un dîner organisée par son amie Marie-Odile, une banale invitation « avec la famille et quelques amis ». Mais c'est là où le bât blesse. Fille illégitime, rejetée par sa mère qui lui préfère ses enfants légitimes, oubliée par son père, un célèbre lutteur d'une autre ethnie sénégalaise, la petite Salie a été élevée par ses grands-parents, les seules personnes qui lui aient apportées soutien, amour et éducation. Rejetée par son village, exploitée par son oncle et par ses tantes, Salie eut une enfance difficile pour ne pas dire plus. Elle étudia d'arrache-pied, finança seule sa scolarité, obtint ses diplômes et s'expatria en France dès qu'elle fut majeure. Mariée puis divorcée, elle rencontre la réussite dans le monde de la littérature, soutient sa famille et pourtant, son enfance continue de la hanter...
J'avoue avoir commencé la lecture de ce livre avec un a priori un peu négatif. Encore un livre écrit à la première personne, encore de l'auto-fiction, encore ce besoin de se raconter, d'étaler ses complexes, ses problèmes, ses manies. Et ouf, le nombrilisme germano-pratin n'est pas apparu. Au contraire, petit à petit, je me suis laissé prendre à la magie du verbe de Fatou Diome, j'ai accepté de me perdre dans ses digressions, de suivre ses enthousiasmes, de partager ses indignations. Dans un grand torrent de franchise et de véhémence proche parfois des célèbres diatribes ou envolées lyriques du grand Louis-Ferdinand, la romancière parvient à transcender la simple auto-analyse pour parvenir à l'universel, au philosophique et parfois même au poétique. Oui, tous autant que nous sommes, il nous est difficile de grandir, de devenir pleinement adultes. En nous comme en Salie, reste une part de l'enfant que nous avons été, avec ses peurs, ses craintes et ses fragilités. Lointaine cousine du « Petit chose » ou de « Poil de Carotte », la petite Sénégalaise a eu plus que son compte de coups, de vexations, de brimades et de blessures physiques ou morales. Salie adulte en est à naviguer aux confins de la schizophrénie, des phobies (elle est terrorisée par les souris) et du dédoublement de la personnalité. L'auteur en tire d'ailleurs de savoureux dialogues entre elle et elle, c'est à dire entre l'adulte et la petite fille humiliée et rebelle qui ne la lâche jamais. Un livre puissant, sorte de suite du « Ventre de l'Atlantique », qui aborde avec courage quantité de sujets : l'intolérance des religions venues de l'extérieur, le problème de la polygamie, les lignées matriarcales et les traditions qui se perdent entre autres. Il faut lire ce beau livre ne serait-ce que pour les pages décrivant une Afrique réelle et éternelle qui a bien peu à voir avec les reportages des magazines sur papier glacé ou avec les descriptifs des catalogues d'agences de voyages.

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