Le prisonnier. Sommes-nous tous des numéros ?
de Pierre Sérisier

critiqué par AmauryWatremez, le 31 mai 2013
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
chef d'oeuvre télé-visionnaire à jamais
Ce livre n'est pas le premier sur la série créée presque de « A à Z » par Patrick McGoohan, re-découverte en France grâce à « Temps X » des frères Bogdanov dans les années 80, mais il a l'avantage pour moi énorme de ne pas être le fait d'un « fan boy » aveugle qui ne serait que dans l'hagiographie et la louange hors de propos qui est très vite grotesque. L'auteur montre que cette série « culte », au vrai sens du terme, nous questionne encore maintenant sur notre société, nos us et coutumes, le spectacle continuel qui nous est offert pour endormir nos consciences, les écrans omniprésents, et notre allégeance parfois enthousiaste à des règles totalement absurdes et arbitraires.

Il évoque aussi non sans un certain amusement le fait que cette œuvre peut donner lieu aux interprétations strictement inverses sans qu'elle n'en souffre. Ainsi, certains y ont vu un éloge des théories « libertariennnes ». Selon Pierre Sérisier, et selon moi, ils font un contresens énorme car ce que montre « le Village » c'est notre société spectaculaire en miniature où chaque habitant devient une variable d'ajustement comme une autre, y compris les « numéros 2 » qui sont interchangeables, sauf un, joué par Léo MCKern, qui revient deux fois dans l'histoire du « numéro 6 ».

Celle-ci commence par la démission d'un homme, incarné par Patrick MCGoohan, personnage dont on ne saura jamais le nom, certainement un agent secret, ou du moins une personne ayant un rôle souterrain dans les arcanes du pouvoir. On le voit ensuite faire sa valise chez lui, ayant prévu de partir en voyage lointain, quand un corbillard se gare devant sa maison, du gaz soporifique l'endort.

Lorsqu'il se réveille, sa chambre est exactement la même, mais lorsqu'il regarde par la fenêtre, il se retrouve dans un étrange « Village », amalgame de diverses architectures, lieu à la fois plaisant et un rien inquiétant. Il y est prisonnier et est dorénavant le « numéro 6 ». Il comprend vite qu'il n'est pas le seul prisonnier et que derrière les façades riantes se cachent des tortures et des interrogatoires continuels. On lui demande des renseignements et de se soumettre par des stratagèmes machiavéliques, mais jusqu'au bout il résiste et s'évade enfin, quoi que cela ne soit pas entièrement certain...

« Le Prisonnier » montre que la télévision peut être le vecteur de réalisations remarquables, qui remettent en question fortement et de manière transgressive d'ailleurs son rôle dans le décervelage des cerveaux modernes.

On pourrait croire qu'un livre paru aux PUF, donc sans illustrations soit un « pensum » indigeste, intellectualisant à outrance et mal écrit, ce qui est souvent le cas pour ce genre de travail se voulant sérieux ou universitaire, comme si un style imbuvable était une caution de travail sérieux.

La plupart des séries américaines et britanniques actuelles ont quasiment toutes la prétention d'être des séries « culte » (« Lost », « Homeland » etc...) sur le modèle du « Prisonnier », œuvre « télé-visionnaire » (Alain Carrazé TM°), courte série géniale de dix-sept épisodes seulement, imaginée, pensée, écrite en grande partie et même réalisée par un seul homme, également interprète du personnage principal Patrick McGoohan. Selon Georges Markstein, producteur du « Prisonnier » et à l'origine de nombreuses trouvailles, McGoohan, ce catholique admirateur d'Ibsen, est bel et bien le prisonnier, ayant été emprisonné depuis et à jamais par sa propre création.

Selon l'ironie du sort...