Colloque de Cerisy - Autour de Stephen King, l'horreur contemporaine de Collectif

Colloque de Cerisy - Autour de Stephen King, l'horreur contemporaine de Collectif

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire

Critiqué par Gregory mion, le 13 juin 2013 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
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Stephen King : une "horreur" esthétique et sociale.

Segmenté en trois parties, cet ouvrage réunit les actes du colloque sur Stephen King qui fut organisé à Cerisy-la-Salle du 20 au 30 juillet 2007. Faisant la part belle à la transdisciplinarité, le colloque aborde l’œuvre de S. King dans son ensemble, questionnant les textes et les images d’un corpus dont on ne cesse plus, à juste titre, de reconnaître l’indéniable richesse esthétique. Après Poe et Lovecraft, deux écrivains mythiques du Nord-Est américain, on peut affirmer que Stephen King est l’héritier de cette terre étrangement fertile en cauchemars littéraires. Mais pour toute une génération contemporaine de lecteurs, King a contribué à la reviviscence de ses prédécesseurs, sans compter que son œuvre colossale est encore en train de s’élaborer. C’est au moins en cela que la tenue d’un colloque se justifie, non seulement parce qu’un auteur redéfinit un certain nombre de couleurs romanesques du passé (les métamorphoses du roman gothique, l’expansion du format-nouvelle, l’affirmation de l’horreur comme genre, etc.), mais aussi parce qu’il propose une lisibilité du monde moderne qui ouvre la littérature à un commentaire approfondi. Il faut donc l’admettre d’emblée : Stephen King est irréductible à toute catégorisation rigide dans la mesure où ses fictions traduisent de nombreux aspects flexibles de l’Histoire contemporaine. Dans un article remarquable, Florent Christol souligne cette fonction d’une littérature-symptôme en étudiant le thème d’une « poétique de la catastrophe » à travers la représentation du clown dans Ça (pp. 79-94). Prétexte à une esthétique de la fête foraine, le clown imaginé par King est pourtant le lieu d’une cicatrice fondamentale qui balafre le réel. La fête foraine prend des allures crépusculaires sous l’effet d’une incursion répétée de la fiction. Le corps du clown Grippe-Sou est une collection de la tradition monstrueuse, c’est-à-dire que chacun des personnages du roman, lorsqu’il sera confronté à Grippe-Sou, verra dans le clown le reflet d’une peur intime. Et comme le Mal prend du plaisir à tarabuster des individus plutôt que des groupes, le clown choisira toujours les plus efficaces de ses métamorphoses. Contre cette malveillance qui frappe tour à tour, il faudra logiquement que les protagonistes repensent l’action du collectif pour venir à bout de l’ennemi. A l’aide d’intenses phases de concertation et de délibération, agrémentées de pénibles combats avec le démon, S. King décline une allégorie de l’amitié au cours d’une trilogie formidable qui nous montre comment une bande de potes, quasiment trente ans après un premier affrontement, décide de se réunir à nouveau pour définitivement invalider le Mal.
L’horreur fictionnelle est peut-être de ce point de vue un apprentissage social, comme jadis le roman d’amour décrivait la quête initiatique d’un jeune esprit qui commençait à démarcher le monde. En outre, la présence régulière d’enfants dans les romans de King justifie la marque d’un apprentissage. Le lecteur se souvient sans doute de Danny Torrance dans Shining, aux prises avec les maléfices de l’hôtel Overlook, tout comme il se souvient probablement de l’adolescente Carrie White, moquée dans les douches à cause de ses règles, ou encore du fameux « élève doué » qui devait empiriquement se mesurer aux conséquences concrètes du nazisme dans l’une des nouvelles du recueil Différentes saisons (Laurence Sudret examine néanmoins d’autres identités enfantines dans son article – pp. 63-77). C’est que l’enfant, chez S. King, est rarement mis en scène au milieu d’une réalité paisible. Comparativement au potentiel transgressif de Grippe-Sou le clown, les enfants sont porteurs d’une innocence de principe que le roman se met en devoir de chahuter. Il s’agit d’une philosophie de l’endurance, parfois clairement analogue à un exercice de survie (cf. Marche ou crève). C’est pourquoi l’horreur surgit dans des contextes banalisés, des petites villes du Maine ou des territoires tranquilles des États-Unis. L’auteur insiste sur le fait que l’horreur est intrinsèque à l’espace américain, qu’elle est une entité parfaitement en phase avec son époque. En d’autres termes, si l’horreur ne peut pas être autre chose qu’un corps étranger, elle demeure un corps malgré tout familier, qui était jusqu’alors suspendu, dans l’attente de son heure, et que la narration va déployer.
Ceci n’est pas sans évoquer l’ancienne tendance des films de genre qui se déroulaient au Texas. L’horreur du Texas, notamment dans Massacre à la tronçonneuse, est une horreur circonscrite, purement interne aux États-Unis, et elle servait alors de matériau contestataire à la suite d’une décennie traumatisée par le Vietnam et l’assassinat du président Kennedy. Tel que l’a montré Jean-Baptiste Thoret, les années 1960 ont doublement légitimé les énergies esthétiques de l’horreur : le crâne défoncé de Kennedy a donné naissance à l’imagerie du gore, cependant que le conflit vietnamien a mis en exergue la vulnérabilité de toute une population. C’est la raison pour laquelle les souffrances de la jeunesse américaine de Massacre à la tronçonneuse, les souffrances littérales s’entend, peuvent être diagnostiquées comme des monstruosités transitionnelles qui servent de remémoration aux calamités des soldats. Mais le pire de cette morale cinématographique, vraisemblablement, c’est que le peuple d’Amérique n’aurait même pas besoin d’aller se chercher des ennemis à l’extérieur. Le pays contiendrait déjà largement de quoi s’inquiéter, gros de ses propres tares, et c’est d’ailleurs le schéma qui revient le plus souvent dans l’œuvre de King, notamment lorsque la fiction se transforme en occasion de critiquer une situation politique (cf. Dôme), voire une tentative de réorganisation sociale à grande échelle (cf. Le Fléau). Du reste, la dimension politique, quand elle se confronte aux forces occultes, n’est pas sans faire état d’un problème typiquement théologico-politique, où les affaires terrestres et les affaires célestes rivalisent en stratégies et en rhétoriques du devoir-être (pp. 133-146).
Conformément à cela, on peut parler de l’horreur comme d’une nature surabondante, tout à fait inaliénable à un discours. Cela dit, au-delà des possibilités iconographiques et narratives que l’horreur suggère, on doit aussi se poser la question de son écriture en tant que telle. Comment écrire l’horreur ? Comment en maintenir les paradoxes conventionnels (les circonstances sont horribles mais nous y revenons volontiers ; les êtres horrifiques n’existent pas mais nous leur accordons toutefois des actes de croyance) ? Avec Stephen King, l’horreur n’est jamais aussi prégnante que lorsqu’elle raconte une histoire d’écrivain. Chantal Lapeyre-Desmaison procède à une étude comparée de deux romans dominés par la figure de l’écrivain : Misery et La part des ténèbres (pp. 25-39). L’article interroge le cœur du processus de création littéraire en se reportant aux apprentissages respectifs de Paul Sheldon et Thad Beaumont, le premier soumis aux volontés psychotiques d’une infirmière qui l’a recueilli après un accident de la route, le second devant faire face à la régénération terrifiante de son pseudonyme, qu’il pensait avoir symboliquement enterré lors d’une cérémonie factice au cimetière. Ce sont donc deux écrivains qui, indépendamment des sujets de leurs entreprises romanesques, se voient envahis par l’horreur. Leur expérience les emmène à questionner le travail d’écrivain, et la façon dont S. King compose ces deux excellentes histoires enjoint le lecteur à se positionner au cœur du débat horrifique. C’est particulièrement tangible dans Misery où nous pouvons évaluer, en tant que lecteur, la production de Paul Sheldon, lequel est obligé d’écrire pour son infirmière-tortionnaire, selon ses souhaits et ses demandes. On réalise par conséquent jusqu’à quel point l’horreur est susceptible de se dire et se dédire selon le degré d’astuce de la construction romanesque.
Afin d’exploiter le potentiel hétéroclite de l’horreur, le colloque, en deuxième et troisième partie, prolonge les résultats dégagés à partir de Stephen King. Ces opportunités supplémentaires ne manquent pas du tout d’intérêt et nous y avons lu avec grand plaisir, entre autres propositions de qualité, une étude comparative entre les dispositions horrifiques de King et celles de Clive Barker (pp. 243-257). En cela, Guy Astic définit très bien les opérations d’une horreur « tranquille » et celles d’une horreur « bruyante ». Ce sont deux manières d’investir une idée du potentiel horrifique, et si Stephen King incarne le tempérament d’un écrivain-conteur, habile constructeur et formidable créateur de personnages, Clive Barker se définit plutôt comme un écrivain du calvaire, un écrivain de la secousse et de la tératologie, en bref comme un homme d’images sensationnelles qui n’hésite pas à extorquer la moindre des possibilités dans l’acte d’écrire, jouant régulièrement sur l’élasticité du corps humain. Dans le même ordre d’idées, le lecteur qui apprécie les objectifs esthétiques de Barker sera ravi par l'un des meilleurs livres de Chuck Palahniuk, intitulé À l’estomac, un livre, en l’occurrence, qui plonge profond dans le supplice des corps.
En dernier lieu, nous citerons deux moments qui couvrent définitivement ce colloque de ses couronnes méritées : 1/ une table ronde ou furent conviées quelques voix non négligeables de l’horreur française (Mélanie Fazi, Roland Fuentès et Francis Berthelot – pp. 275-293) ; 2/ une discussion avec Stéphane Bourgoin, le spécialiste incontournable des tueurs en série, qui clôture une réflexion sur l’horreur en rappelant certaines de ses promiscuités sociales, malheureusement davantage inventives que la matière littéraire (pp. 355-372), d’où l’idée de qualifier le serial killer « d’ultime anatomiste de l’horreur ».

[ Outre les résultats de ce colloque, il est possible de poursuivre une constante réflexion sur Stephen King grâce à l'un des meilleurs sites francophones consacrés à son oeuvre, le Club Stephen King France, consultable à cette adrsse : http://club-stephenking.fr/ ]

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Les éditions

  • Autour de Stephen King, l'horreur contemporaine [Texte imprimé], [actes du] Colloque de Cerisy, [20-30 juillet 2007] Guy Astic, Anne Besson, Grégory Bouak... [et al.] [présentés par] Guy Astic et Jean Marigny
    de Astic, Guy (Editeur scientifique) Marigny, Jean (Editeur scientifique)
    Bragelonne / Collection Essais (Paris. 2005)
    ISBN : 9782352942221 ; 40,00 € ; 26/09/2008 ; 382 p. ; Broché
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