Le nouvel ordre sexuel - Pourquoi devient-on fille ou garçon ? de Serge Hefez

Le nouvel ordre sexuel - Pourquoi devient-on fille ou garçon ? de Serge Hefez

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Cyclo, le 25 juin 2013 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 79 ans)
La note : 10 étoiles
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la vie, en somme

Dans "Le nouvel ordre sexuel", Serge Hefez pose la question : "Faut-il avoir des seins pour faire la vaisselle, et en avoir dans le pantalon pour descendre la poubelle ?" On ne peut qu'être en phase. Son souci de séparer le genre et le sexe me paraît tout à fait pertinent. Car il s'agit d'émanciper notre monde de toutes ces vieilleries qui continuent à pulluler et qui ont ressurgi avec virulence lors de la fameuse guerre du mariage pour tous (qui sera, heureusement, oubliée dans dix ans! ). Il écrit aussi : "Nous nous trouvons ainsi complètement ficelés, contraints, contenus par une multitude d'injonctions, de prescriptions, de représentations, de projections, de règles héritées de notre environnement personnel, familial, social, culturel, religieux, qui nous dictent au plus intime de nous-mêmes comment modeler ce sexuel infantile infiniment fantaisiste, qui nous exalte et nous terrifie. Au point que certains prennent parfois ce modelage pour la « norme », ou même la « nature »..."

Ah ! cette nature qui engendrerait une norme ! Derrière ce vocable, on nous ressort les vieilles lunes du patriarcat : c'est naturel et donc normal que l'homme domine la femme. En réalité, "nous construisons tous notre identité sexuée non pas sur la base d'un déterminisme biologique, ou d'une quelconque nature, mais sur la base de ce que nos parents nous disent et de la manière dont ils nous traitent. Sous la forme, en somme, de la croyance." Eh oui, voilà le mot : on est dans la croyance, et la religion n'est pas loin derrière (ce qui explique qu'elles soient toutes opposées officiellement au mariage pour tous, même si des prêtres, pasteurs ont une autre opinion en tant qu'individu), qui nous ressert Adam et Ève, à partir de quoi on a imposé la rigidification et la séparation des sexes, chacun dans son coin, les sexes étant conçus et figés de toute éternité.

Dans les années 50, Simone de Beauvoir nous avait bien dit : "on ne naît pas femme, on le devient" ! Bien entendu, ça m'avait beaucoup impressionné à l'époque, surtout que son argumentation était imparable. Un peu plus tard, Elena Gianini Belotti, dans son bel essai "Du côté des petites filles", nous avait démontré à quel point l'éducation fabriquait des filles. Qui la lit encore aujourd'hui ? Même les auteurs pour la jeunesse nous concoctaient dans les années 70 une magnifique "Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon". À mille lieues des absurdes Martine et Caroline qui inondaient et continuent à polluer kiosques et grandes surfaces. Tout cela est bien oublié aujourd'hui, on est rentré dans l'ordre soi-disant "naturel". Pourtant, nous explique Serge Hefez, "les hommes commencent à réaliser que l'émancipation des femmes peut être pour eux un gain identitaire" et, "devenant des pères plus démonstratifs, à l'écoute et moins autoritaires", voilà qui change la paternité.

N'oublions pas, aussi, que le couple familial traditionnel est battu en brèche par les innombrables combinaisons familiales nouvelles : monoparentales, homoparentales ou recomposées. Est-ce mieux ou pas, la question n'est pas là, c'est un fait, et les faits sont têtus. Et il s'agit de ne pas laisser sur la touche du droit certains enfants sous prétexte qu'ils vivent dans une famille hors norme. Sait-on que jusqu'à la loi nouvelle, les enfants élevés par un couple homosexuel (ils seraient, paraît-il, 50 000 en France), sont censés n'avoir qu'un seul parent, celui qui a adopté. Le compagnon ou la compagne, l'autre parent, (excusez-moi, je ne trouve pas d'autre mot, celui qui élève, qui éduque les enfants, est un parent, même et peut-être surtout s'il ne les a pas faits, cf Panisse dans "Marius" de Pagnol !) ne peut pas les prendre en charge, en cas de décès du premier. Aux yeux de la loi, il/elle n'existe pas, et les enfants seront confiés aux services sociaux. Rien qu'à ce titre, le mariage pour tous est une bonne chose.

Serge Hefez convoque, à l'appui de son argumentation, tous les grands auteurs, philosophes (Beauvoir, Foucauld, Edith Butler…), psychanalystes (Freud, Lacan…), sociologues (Masters & Johnson, Shere Hite...), médecins, aussi bien que militants du féminisme ou des divers genres sexuels. Il conclut qu'il faut sortir du discours normalisateur – et moralisateur – qui distribue les rôles selon la tradition (un mot d'ailleurs sur ce vocable : ce n'est pas parce qu'une tradition existe qu'il ne faut pas en sortir, à ce compte, on maintiendrait toujours l'esclavage, l'anthropophagie, l'excision, etc., en soi, une tradition n'est pas forcément bonne), sortir de toutes les scories éducatives, culturelles, sociales, religieuses, environnementales. Car la tradition joue un rôle capital dans la construction du masculin et du féminin : on pourrait compléter la remarque de Beauvoir : "on ne naît ni homme ni femme, on le devient". Voilà donc un livre stimulant pour l'esprit, qui cherche à apaiser les tensions, alors que nos réactionnaires ne font qu’entretenir des différences et les peurs ancestrales. À nous d'accompagner cette évolution de nos sociétés, afin de permettre à chacun, et notamment aux plus opprimés, de vivre plus harmonieusement, d'être acceptés dans leur différence.

Au fond, on se retrouve ici avec la même problématique qu'avec le racisme. La définition des sexes, comme celle des races, a entraîné des rapports de domination et d'exclusion qui n'ont pas favorisé l'apparition d'une société plus soudée et plus fraternelle. Sortons donc de nos concepts et cadres largement issus de l'époque victorienne et qui ne reflètent plus les réalités de la société actuelle. D'ailleurs, certaines sociétés ne se sont pas construites sur ce schéma homme/femme, père/mère mais sur d’autres socles, comme nous le rappellent des anthropologues qu'il cite (Margaret Mead par exemple). "Le nouvel ordre sexuel" ne plaira pas à tout le monde, c'est certain, surtout à ceux qui sont ancrés dans des certitudes, souvent d'origine religieuse, même pour ceux qui ne croient plus en Dieu depuis longtemps, mais qui restent quand même ancrés dans des croyances figées. Mais pour ceux qui veulent s'ouvrir aux nouvelles réalités, ou essayer de mieux les comprendre, c'est un ouvrage aussi recommandable que le remarquable petit opuscule de Joëlle Randegger, "Le mariage dans tous ses ébats", dont je cite une partie de la conclusion : "La déliquescence, je la vois pour ma part, dans la montée de l'égocentrisme, du matérialisme et du fanatisme religieux. Dans l'idolâtrie de l'économie, du pouvoir et de la technique qui engendrent les dérives violentes dont sont encore victimes les plus vulnérables. Mais pas dans ce qui fait alliance, dans ce qui ouvre à l'accueil de personnes méprisées, dans la liberté, l'égalité et la fraternité."

Remarquable, et ça se lit aisément !

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Les éditions

  • Le nouvel ordre sexuel [Texte imprimé], pourquoi devient-on fille ou garçon ? Serge Hefez avec la collaboration de Valérie Péronnet
    de Hefez, Serge Péronnet, Valérie (Collaborateur)
    Kero
    ISBN : 9782366580037 ; 15,90 € ; 27/09/2012 ; 200 p. ; Broché
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