Les plumes du coq
de Conrad Detrez

critiqué par Catinus, le 1 juillet 2013
(Liège - 73 ans)


La note:  étoiles
Baroque
On peut dire que c’est sur le mode halluciné que Conrad Detrez raconte son séjour au collège-pensionnat ultra-catholique Saint-Trudon, en terre limbourgeoise belge, quand il a quinze ans. Les soixante premières pages sont plus que particulières ; elles sont saisissantes, spectaculaires. Voici quelques passages épinglés par des mots-clés :
Arrivée du gamin sur les genoux gravissant les premières marches du collège – circonvolutions de élèves dans la boue – des milliards de plumes volent dans le poulailler –les Turcos – plongés dans la vaisselle, de l’eau jusqu’au torse – « mon Epoux, je vous jure que je choisirai toujours la voie la plus dure ! » - Victor enfoncé jusqu’aux oreilles dans la glaise du champ de betteraves.
S’ensuit la « question royale «, ce qui est peut-être moins gai.
Un livre baroque dans tous les sens mais surtout dans ce qu’il a de meilleur !


Extraits :

* De la préface signée par Jean-Louis Lippert

- L’artiste paie le prix de ce qu’il offre au monde. Il dit ce qu’il ne faut pas voir, il voit ce qu’il est interdit de dire, il produit les signes qu’il est malséant d’adresser à ses contemporains.

- Je dis donc de Conrad qu’il vint à nous comme l’agneau de l’homme pour sauver les péchés de Dieu.

- (…) la formulation, par Kant, d’une triple question à l’aube de nos temps : que pouvons-nous croire ? que devons-nous savoir ? qu’est-il permis d’espérer ?

* Des plumes du coq :

- (…) les Liégeois, pour qu’ils ne rasent plus les cathédrales et consentent, le vendredi, à manger du poisson flamand (…)


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Courte vidéo sur Conrad Detrez :
http://sonuma.be/archive/…
Récit halluciné des années d'adolescence de l'écrivain 8 étoiles

Conrad Detrez a écrit une trilogie sur son "autobiographie hallucinée" dont ce roman est le deuxième volet qui couvre l'adolescence de l'auteur. Elle ne se veut pas parfaitement fidèle à la réalité puisqu'il s'inspirera de plusieurs années de son adolescence qu'il va contracter de façon fantaisiste ici. Le personnage principal se retrouve dans un internat catholique dans lequel ne sont inscrits que des garçons. Des religieux prennent en charge l'éducation de ces jeunes avec certains travers que dénonce l'écrivain : dureté, perversion sexuelle avec ce religieux qui prend plaisir avec des gallinacées, la pédophilie ... L'écrivain raconte aussi les amitiés masculines, la découverte du désir et des pulsions, les premières découvertes sexuelles, mais aussi le contexte de la Belgique dans ces années-là avec le questionnement sur la monarchie et les questionnements sur les langues parlées dans le pays.

L'écrivain transfigure le réel et l'on semble souvent basculer dans un univers fantaisiste. Il connaît très bien l'Amérique du sud et son réalisme magique et c'est ce qui nourrit ses romans, à sa façon. On pense un peu à Rimbaud et "son dérèglement des sens". Quand l'auteur décrit les adolescents à la plonge, tout bascule dans un univers transfiguré. Quand il évoque Victor, ce garçon aux beaux cheveux noirs qui exerce une certaine attraction sur le narrateur, couché dans la terre, la description semble devenir fantastique avec cette terre décrite comme des sables mouvants dans lesquels les corps semblent se débattre. Dans les scènes aussi où les religieux ont des comportements sensuels abjects, le récit emprunte au monde imaginaire pour dire l'indicible ou l'inacceptable. L'homosexualité est présente dans certaines scènes ou dans le choix de certains termes avec lesquels Conrad Detrez joue. Ne serait-ce que lorsqu'il évoque l'Epoux céleste auquel ces garçons doivent se consacrer ...

L'écriture est l'une des forces de ce roman. L'auteur a son propre univers, son propre imaginaire, invite ses lecteurs au voyage dans des images auxquelles nous sommes peu accoutumés. Ses romans ne ressemblent à rien de ce qu'on a l'habitude de lire. Il y a peut-être un peu de Rimbaud. L'univers de Mircea Cartarescu pourrait trouver aussi une résonance dans ces romans. En prenant du recul, on a conscience que l'auteur parle de sujets que l'on a déjà vus en littérature mais sa façon de narrer est unique et de qualité. Un très grand écrivain ! Ses images continuent à vivre dans notre mémoire;

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 25 juin 2023