Les mouchoirs rouges de Cholet
de Michel Ragon

critiqué par JulesRomans, le 13 juillet 2013
(Nantes - 66 ans)

La note: étoiles

Les mouchoirs rouges comme drapeau noir

Un roman historique intéressant dans son désir de retracer les mentalités des paysans vendéens qui survivent après la répression de leur révolte armée, répression qui n’est pas à qualifier de génocide comme le fait l’auteur. Une vingtaine d’années parcourues du Directoire à la Restauration. Certains se demandent après coup pourquoi ils ont pris les armes et quelles satisfactions leur a apportées Louis XVIII?

Que ce soit dans ses livres sur l’histoire des anarchistes ou là, l’auteur n’a jamais été un historien avec le travail sur les archives que cela suppose et un regard distancié sur des discours manichéens qu’il rencontre à propos de militants (en particulier ceux signataires en 1916 du Manifeste des Seize). Ce n’est donc pas l’évêque de Luçon d’avant la Révolution qui est le chef de file de ceux qui maintiennent leur refus du Concordat (le pauvre est mort en 1801 archevêque de Bourges) mais l’évêque de La Rochelle Jean-Charles de Coucy (décédé en 1824, il a fui en Espagne après son refus du Concordat).

Bref pour comprendre quelque chose à la Petite Église, dont les membres sont des dissidents catholiques qu’on retrouve à la Belle Époque dans le roman "Nêne" d’Ernest Pérochon, et à l’origine du mouchoir rouge de Cholet, il faudra aller chercher ailleurs. Sur ce dernier point ce sera "Le Mouchoir rouge de Cholet". Pour le premier on lira "La Petite Église dans la Vendée et les Deux-Sèvres" par Auguste Billaud, ce qui permettra de comprendre que ces dissidents ont pour lieux d’habitation essentiellement des villages des Deux-Sèvres qui appartenaient au diocèse de La Rochelle, alors que la dissidence se rencontrait peu en Vendée départementale même au début du XIXe siècle.

Coeurs rouges et chapeau "rabalet"

Michel Ragon (1924- 2020) est un écrivain, critique d'art, critique littéraire et historien de l'architecture français.
Il s'intéresse en particulier à la littérature prolétarienne et à l'histoire de l'anarchisme.
Les Mouchoirs rouges de Cholet (1984) reçoit le grand prix des lectrices de Elle, Goncourt du récit historique, prix Alexandre-Dumas, prix de l'Académie de Bretagne, Livre de Poche 1986.

La grande guerre de 1793, le génocide perpétré par les 12 colonnes infernales de Turreau, ont laissé la Vendée exsangue.
Les hussards de Westermann ont décimé la grande armée catholique et royale.
De retour dans son village en 1796, Duchêne (Dochâgne en patois) accompagné des rares survivants vont devoir reconstruire.
Le curé-Noé sera le chef naturel, accompagné de Léonie, la petite Louise, Jacques-le-tisserand, Victor et Victorine, Chante-en-hiver, Tête-de-loup et... Dochâgne.
Les coeurs rouges en étoffe épinglés sur les vestes, les larges chapeaux rabalet, le drapeau blanc à fleur de lys; les villageois vont conserver leurs coutumes, leurs convictions .
Des croyances païennes, les préveils, les foires, les pèlerinages et les fêtes religieuses (Saint Jean, Saint Joseph, .. ) comme autant de moments de solidarité.
Une reconstruction mise à mal par l'extreme pauvreté, les multiples répressions, l'Histoire en mutation .
Le remembrement agricole (et la fin annoncée des petites métairies) sonne le glas de cette chouannerie déclinante.
La pauvreté des campagnes va se déverser dans la misère du prolétariat urbain (principalement à Nantes et Cholet)

Michel Ragon balaie la période 1796 (après le génocide de 1793) jusqu'à 1820.
Les guerres de Vendée traversées par l'Histoire en mouvement. La Révolution française, le Directoire, les balbutiements de la République, l'Empire et la Restauration
Un incroyable roman historique d'une très grande richesse associé à une fresque sociale régionale époustouflante. `
Des personnages hauts en couleur auxquels on s'attache dans leurs très grandes difficultés et leur abnégation à rester des paysans fiers et attachés aux valeurs régionales.
Un Moment de lecture unique.

Frunny - PARIS - 59 ans - 22 août 2024