Alma Mahler, ou L'art d'être aimée
de Françoise Giroud

critiqué par Bolcho, le 5 avril 2003
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
«(…) les sublimations intellectuelles dont les femmes sont peu capables»
Mettons la phrase complète. Elle est de Freud : chapeau bas ! « L'œuvre de civilisation est devenue, de manière croissante, l'affaire des hommes ; elle les a confrontés à des tâches plus difficiles et les a conduits à mener à bien les sublimations intellectuelles dont les femmes sont peu capables ». Mais j'aurais pu mettre celle-ci aussi : « Le destin de la femme doit rester ce qu'il est : dans sa jeunesse, celui d’une délicieuse et adorable chose ; dans l’âge mûr, celui d'une épouse aimée… L'envie de réussir chez une femme est une névrose, le résultat d’un complexe de castration dont elle ne guérira que par une totale acceptation de son destin passif ». Tout ça a été écrit en 1932 et cité par Benoîte Groult dans « Cette mâle assurance ». Et si je le mets en tête de ces quelques lignes sur le livre de Françoise Giroud, ce n'est pas pour embêter les délicieuses et adorables choses de Critilib, c'est pour qu'on puisse se replonger dans l'époque. Alma Mahler a eu pour maris et/ou amants Gustav Mahler, Oskar Kokoschka, Walter Gropius (fondateur du Bauhaus) et Franz Werfel, écrivain tenu alors pour l’égal de thomas Mann… Elle a également été aimée par Klimt. C'était une femme de tête, une musicienne de grand talent. Mais ce n’est que son talent de séductrice qu’elle a pu développer. Sans doute parce que « le destin de la femme doit rester ce qu'il est… ». N’oublions pas que Freud vivait alors dans la même ville et qu'il faisait partie des connaissances du couple Mahler. Il faut dire que ce dernier avait été honnête avec Alma ; si elle voulait l'épouser, il était hors de question qu'elle continue à composer : « Tu n'as désormais qu'une seule profession & me rendre heureux. » (Le rôle du)
« compositeur, de celui qui travaille, m’incombe. Le tien est celui du compagnon aimant. » Lisez ce petit livre qui fait la part belle à d’étonnants personnages secondaires. Otto Weininger, jeune philosophe qui dans « Sexe et caractère » fustige les femmes lui aussi, « amorales et lascives ». Il explique leurs défauts comme étant le fruit de l'intériorisation d'une oppression millénaire
et il attribue aux juifs les mêmes traits (malhonnêteté, matérialisme, ruse) pour les mêmes raisons. Puis, comme il est juif lui-même, il se suicide. Ou bien Karl Kraus, journaliste qui dénonce pendant quarante ans toutes les corruptions et afféteries et qui a ce mot terrible au moment où, en 33, les Allemands passent en Autriche pour échapper au nazisme : « Les rats envahissent le navire qui coule ». Ou encore la femme la femme de Debussy faisant une tentative de suicide et qui, à demi inconsciente, voit son mari s’approcher d’elle, lui vider les poches et prendre l’argent avant d'aller appeler le médecin. Elle demande ensuite le divorce, quand même. Et ce peuple de Vienne ! Françoise Giroud dit « la culture est la voie qu’a empruntée la bourgeoisie viennoise pour s’assimiler à l’aristocratie qu’elle n'a pu ni détruire, comme ailleurs, ni pénétrer ».
Cette culture n'exclut pas l’humour. Il n'est qu’à entendre le surnom dont on avait affublé le « petit » chancelier Dollfuss : « Millimeternich ».