Le guetteur halluciné
de Geneviève Roch

critiqué par Yotoga, le 21 août 2013
( - - ans)


La note:  étoiles
"se retrouver face à soi-même, et ne pas détourner le regard..."p49
Ce livre m’a été envoyé, ainsi qu’à quatre autres lecteurs de CL, à la suite d’une annonce sur le forum CL, avec une demande de critique. Aurais-je choisi ce livre dans une librairie ?

La quatrième de couverture résume assez bien l’histoire. Concrètement, un homme fait le deuil de sa compagne morte. Au début du livre, il continue à vivre « à cause des chats » (p27). Cet homme ne vit qu’entre ses quatre murs et dialogue avec lui-même puis s’ouvre petit à petit au monde extérieur en dehors du journal télévisé. Page198 « le sol frôle la joue du ciel ». Il sort et …se fait constamment suivre.

Le sujet est étouffant et morbide, mais traité si quotidiennement que le mal disparait. Le personnage principal décrit ce vide en le remplissant de pensées quelconques que tout être humain a mais n’écrit pas. Le thème principal du deuil est traité par le quotidien. Ces pensées futiles et quelque fois inutiles, ces éclats d’âme reflètent les actualités du journal télévisé et le personnage principal, comme un petit vieux marmonnant dans sa barbe, contredit et discute comme si sa compagne était toujours là. Le contenu du livre remplit ce vide.

Je définirais le style par deux éléments, contradictoires mais complémentaires dans ce cas :
D’abord, le « tu » utilisé comme une forme de dialogue entre le personnage principal et lui-même, mais ressenti par le lecteur comme une projection et une intrusion, un dérangement et pesant après 100 pages. La lenteur du monologue sans queue ni tête, une suite de pensées écrites mais sans intérêt aucune, sans mouvement crescendo, longueurs incessantes, le contenu est assez plat. Le niveau de langue s’affaisse complètement, à partir de la page 130 le lecteur trouvera des « il y a » à tout bout de champ.
Ensuite, la finesse de la langue dans certaines pépites comme page 18 « tu pleures sur la barbarie du monde. Increvable, elle » ou page 83 « ce mur en béton qu’est le regard de l’autre, parfois. » Ces phrases tombent, souvent comme un cheveu sur la soupe (p191 Bruit de benne du camion-poubelle au petit matin), mais réveillent le lecteur, font sourire et sont l’intérêt de cet ouvrage.


Ce qui m’interroge : ce livre est présenté en couverture comme un roman. Malheureusement, en essayant de rester fidèle au style de la deuxième personne du singulier, l’auteur finit tout de même par surpasser son personnage principal et à s’introduire dans le dialogue, à la page 195 : serait-ce une biographie et non un roman ? Ce monologue sur le thème du bonheur d’être publié tombe mal, ainsi que les dialogues sur la peinture. Nous apprenons en quatrième de couverture que l’auteur est aussi peintre. Personnellement, je considère cette erreur fatale, et la page 195 signifie pour moi, le début de la fin, l’apogée de la perte.

Le titre ne me parait pas approprié : le guetteur est dans le cas présent le guetté finalement. Il pense que quelqu’un le suit dans ses déplacements. Le roman tente d’esquisser une intrigue qui finalement n’a pas lieu, le roman ne se transformera pas non plus en policier ou en livre ésotérique sur la recherche de soi. L’attaque de la page 223 me semblait évidente : une crampe, un infarctus, le suiveur est une maladie… Mais non. Et le mystère reste. « Halluciné », non, je ne crois pas, il a bien toute sa tête ce monsieur. Le titre n’a pas de sens.

Je garderai en souvenir de ce livre, ces petites pépites de langue, pas forcément philosophiques mais si agréables, comme p117 « notre regard est pauvre et notre horizon restreint ».
La critique du salon du livre p159 est si réaliste…« l’enseignement de l’ignorance va. Bon train. »
Mais le "tu" me gêne énormément. Malheureusement.
Chemin inhabituel de réflexion sur le deuil 10 étoiles

J'ai été happée et bouleversée par "Le guetteur halluciné". Ce livre est écrit comme un long poème en prose où l'humanité jaillit à toutes les pages.
Dans l'expérience si cruelle et si universelle de la séparation, Geneviève Roch amène le lecteur à d'autres états de conscience.
L'intensité de la vie intérieure des personnages, comme la brutalité du monde, sont dites avec justesse et exigence.
Le poète et peintre au travers de son deuil nous invite à observer, à penser, à travailler pour trouver toujours plus de sens à la vie malgré la mort, l'absurdité et l'horreur qui nous entourent. La lutte de cet homme face au vide, au manque que laisse la femme aimée disparue questionne : qu'est-ce que le vide, qu'est-ce que le plein? qu'est-ce que la pensée?
Ce livre me suit ... Du grand art !
Je rajoute un petit mot car l'éditeur Le lavoir Saint Martin a fait un bel objet fait avec du beau papier, agréable à tenir et à lire.

Astico - - 68 ans - 3 novembre 2013


Celui qui reste... 10 étoiles

Je sais que certains lecteurs sont gênés par le « tu » ; même si j’ai du mal à le comprendre je ne le discute pas. J’ai lu dernièrement « Photo de groupe au bord d’un fleuve » d’Emannuel Dongala, où ce « tu » pour moi m’a permis de suivre une jeune femme combative dans son quotidien et ses luttes, et j’ai adoré. Pour moi il est essentiel pour entrer dans l’intimité profonde de celui qui ressent et surtout va faire ressentir. Ce n’est pas un exercice facile et il ne s’applique pas à tous les récits.
Ces gestes du quotidien qualifiés de « sans queue ni tête » dans la critique principale, prennent ici une dimension démesurée uniquement pour permettre à celui(à ceux) qui ont perdu un être cher de survivre ; on pourrait penser qu’il faut l’avoir vécu pour le comprendre, ce qui malheureusement est souvent le cas, mais, qui est capable d’un tant soit peu d’empathie peut se plonger totalement dans ce parcours du combattant ; combat contre la douleur de la perte de l’être aimé, contre l’absence, contre le non sens d’une vie amputée et du manque qui vous prend au fond de votre ventre et de votre âme...
Ce quotidien qui parasite la vie dite normale par toutes ces petites choses qui vous volent du temps, et dont on cherche souvent à s’en débarrasser le plus vite possible évite, ici l’envahissement du vide ; il faut à tout prix éviter de succomber à la tentation de se faire happer par ce vide ;
l’ « ampoule à nu te regarde au plafond de la cuisine ». Est-elle celle qui dit : attention, ne lâche pas, ne sombre pas dans le noir ? !

Nous suivons donc cet homme (avant qu’il ne soit suivi lui-même) dans son univers où la moindre pensée, le moindre désir amorcé, le moindre objet, le moindre acte du quotidien, le moindre souvenir , vont peut-être permettre de le raccrocher à la vie ; mais à quel prix ! On peut penser que posséder des dons, ici la peinture, l’écriture, soit un véritable atout, une faveur par rapport à ceux qui ne les aurons jamais ; c’est incontestablement vrai mais…quand tout s’éffondre autour de vous, que la seule chose que vous sachiez véritablement faire est amputée de sa faculté de création, c’est soit le néant soit le point d’interrogation qui s’affichent devant vous et l’impuissance vous abat. Et avant de pouvoir retrouver cette capacité à créer, ne reste que ce petit quotidien qui vous était presque étranger, pour vous raccrocher à la vie.
C’est là où l’auteur, avec une sensibilité , une fine psychologie et une justesse des mots, nous permet d’accompagner cet homme, (mais ne serait-ce pas tout homme ?) dans ce processus de la résilience face à un événement qui vous détruit, si cher à Boris Cyrulnik auquel je n’ai pu m’empêcher de penser.
A cette lecture, on ressent une sorte d’envoûtement qui est dû à cette écriture poétique au point que l’onirique paraît naturel comme une évidence. Ce guetteur, il me semble que chacun peut le représenter comme il le désire ou le sent. Est-ce le mental qui soudain interpelle ? Est-ce la voix d’un refuge provisoire face à la souffrance insupportable ? Est-ce une main tendue qu’on ne parvient pas encore à prendre ? Est-ce une présence qui hésite entre une aide où une poussée vers une aire de repos, éternelle ou non ? Est-ce la conscience qui harcèle pour éviter le néant ? Ce qui est certain pour moi c’est qu’il est celui qui voit , qui Le voit, qui le tient à bout de bras…Mais seule l’auteure le connaît vraiment ce guetteur et il me semble que ce mystère est le cœur de ce livre ; le terme « halluciné » semblerait donc ici trouver sa justification. Nous ne voyons pas tous la même chose !
Et puis il y a ce questionnement sur le sens de la vie avec ou sans les autres, sans l’Autre ! Cette dépendance à celui ou celle que l’on a choisi, cet abandon dans l’Autre dans lequel on s’est niché tout doucement sans s’en apercevoir, qui irrite parfois dans une vie que l’on croit normale et que l’on va rechercher désespérement dès lors que cette vie va être brusquement coupée en deux. Alors il faut penser : continuer à penser et à réfléchir à tout, aux choses importantes comme aux insignifiantes ; continuer à voir ce qui se passe autour de soi de façon parfois incohérente ou au contraire dans la logique totale de la lente destruction qui fait des tentatives sans cesse. Mais penser ! Voir ! Comme si celui ou celle qui a disparu vous avait transmis une autre perception des choses.
Car Mona reste avec lui, d’une manière différente au fur et à mesure du temps , parfois même elle lui tend la main…

Mais il n’y a pas que le quotidien pour se raccrocher, il y a le Rêve ! De ces rêves qui plongent dans la réflexion philosophique comme dans un univers fantastique ; alors, dans sa continuité il y a ce suiveur…Et ce suiveur est le nouveau compagnon qui va lui permettre de ne pas sombrer dans la folie au moment où il est sur le fil. Alors il se crée un polar puisqu’il ne peut plus lire ceux des autres ; car dans son polar il existe, il a peur, il n’y a plus de vide à combler, il l’oblige à agir ; et avoir peur c’est craindre de mourir, c’est l’aider à rester en vie. Ce suiveur est son ennemi personnel mais qu’il n’est pas encore prêt à affronter. Parfois il s’éloigne, parfois il est si près qu’il le sent « sur la nuque » prêt à le pousser, l’enfoncer ; où ? Les rêves et l’imagination se mêlent . Il y a un passage superbe ou, parce que Mona , juste avant de mourir lui a dit ces deux mots « Mozart, Nagazaki », il va faire un rêve extraordinaire en écho à ces deux mots dont il n’avait pas compris le sens, et dans lequel il va chercher Mona qu’il a perdu dans un univers de cataclysme…L’intime se mêle à la destruction du monde, à son absurdité.
Comme si la mort des autres vous aidait à mieux comprendre votre vie !

Car Mona, par sa mort, va lui donner cette « claire voyance » (magnifique expresssion), sur les choses, les gens, les évènements. Même s’il a souvent le sentiment de vivre à côté de lui-même , il observe, ceux qu’il n’aurait jamais vu avant, ce à quoi il ne s’était pas forcément intéressé. Car l’absurdité de ce qu’il vit l’éclaire encore plus sur l’absurdité de la vie et attise son regard sur les autres.
Rester humain pour ressentir encore l’humanité ?

Alors Il pleure, mais pas sur lui, sur les autres, car sinon se serait trop douloureux…Sa souffrance personnelle n’est jamais dite, seulement celles des autres, et c’est cette pudeur qui m’a particulièrement touchée. Pourtant cette souffrance est partout, dans tout ce parcours mais sans aucune plainte, seulement un immense abattement et une grande lassitude.
Il y a Lui qui vit l’Après et il y a Lui et Elle et ce qu’ils ont vécu ensemble ; surtout les derniers moments…
Et là l’émotion prend à la gorge ! Bien sûr, une émotion qui peut venir de chacun de nous, de ce qu’on a vécu soi-même où qu’on a vu vivre, mais aussi une émotion venant de l’écriture : phrases courtes pour évoquer l’épuisement, du corps qui ne suit plus, mais aussi les pensées qui se veulent lucides pour honorer Mona ; Elle et sa souffrance, et son courage…
Et ces réflexions lancées souvent comme on jette des cailloux à la surface de l’eau rebondissent en nous et nous interpellent.
Mais ces phrases sont toujours empreintes de poésie pour ne pas rendre le récit aride. Cette poésie c’est pour moi l’espoir de ce livre, celle qui permet de ne jamais sombrer dans la morbidité, car, on le sait dès le début, malgré le calvaire de vivre : il FAUT vivre ! …
Récit intime qui s’ouvre à tous ; ce sentiment d’hermétisme au départ qui vient de cet univers autiste dans lequel se débat celui qui reste en cherchant une étincelle de lumière, s’évapore peu à peu vers ce qu’on pourra peut-être, appeler l’espoir…
Peut-être le moment ou il sera enfin capable de vivre seul et de se séparer de « l’autre » sans l’oublier, ou de combler le vide de son absence ?
Peut-être le moment où il sera capable soit d’affronter soit de faire disparaître ce suiveur avant que ce dernier ne tente de le terrasser ?
Peut-être le retour ou la découverte du processus de création dans la peinture et l’écriture ?
Je fais toujours ma critique avant la fin du livre afin de ne pas être tentée de la dévoiler ; pour en laisser la découverte à ceux auxquels j’aurai donné envie de le lire…
Alors on a parlé de « pépites » dans ce livre ; moi je dis qu’il en est une à lui seul !
Laissez-vous éclairer par cette pépite, ce chemin vers une connaissance profonde de l’être humain ; on ne ressort pas indemne de cette lecture ; ce long poème touche chaque fibre de notre sensibilité, de notre vécu, et surtout il nous permet d’avoir un regard plus humain sur les autres , de déchiffrer dans leur attitude, leur lassitude du corps, leurs mots parfois incohérents , la vie de peine et de souffrance qui les habite.
La mort n’est pas forcément une fin ; si elle est une épreuve qu’on peut trouver insurmontable elle est aussi une porte pour mieux comprendre la vie. Parfois, ceux qui nous laissent, nous lèguent cette « claire voyance » qui se transformera en force de vie après la cruauté et la douleur de la séparation.
C’est pour moi le message de ce livre que j'ai profondément aimé.


Pieronnelle - Dans le nord et le sud...Belgique/France - 76 ans - 16 septembre 2013


J'ai rencontré un guetteur... 8 étoiles

Geneviève Roch écrit dans son livre que la peinture n’existe pas par elle-même, elle ne vit que dans les yeux de celui qui la regarde. Non seulement je partage cet avis fondamental mais je crois qu’aucune œuvre d’art ne peut exister sans le regard, sans l’oreille, sans le cœur, sans l’âme d’un public, si petit soit-il. Il en est ainsi des romans, il faut un lecteur et c’est lui qui, d’un coup, donne vie au texte. Voilà pourquoi certains auteurs sont toujours très inquiets quand ils ont terminé un texte. Ravagé par l’interrogation pure : que va penser le lecteur ?

On peut donc parfaitement imaginer Geneviève Roch ne dormant pas la nuit en attendant de savoir si les lecteurs auront envie de tenir compagnie à son « guetteur halluciné » ? Ce n’est pas tout de l’accompagner, il faut lui redonner goût à la vie, il faut détecter le sens là où l’absurde semble nous inonder… N’est-ce pas horrible, cruel, inutile et anéantissant de lui avoir enlevé Mona ? Et qui est cette voix qui l’accompagne, qui le pousse, l’interroge, l’empêche de dormir en paix, l’interpelle ? Celle qui sort du néant, celle qui sait les pourquoi ? Ou un filet contrefait pour remplir le vide comme les hommes se seraient construit les religions pour accepter le néant ultime, l’inacceptable ?

D’ailleurs, le lecteur durant quelques pages s’interroge sur ce « tu ». Moi, personnellement, cela n’a pas duré très longtemps car je suis devenu très rapidement le « guetteur » et cette voix m’interpellait directement. L’identification fut instantanée tant j’ai trouvé pertinent et profondément humain le positionnement du personnage. Nous sommes tous des êtres seuls, perdus dans une vie complexe que nous ne comprenons que fort peu. Certes, un conjoint, des enfants, des amis viennent remplir nos vies mais avec une menace, une épée de Damoclès permanente : oui, du jour au lendemain la vie peut partir, une tumeur peut prendre d’assaut nos vies et ne rien nous laisser. Celui qui pense à cela est donc, d’une certaine façon, seul et il lui faut guetter dans l’univers un signe de sens, un signe d’espoir, d’espérance… mais alors qu’il pensait avoir capté cela, Mona est parti, elle l’a abandonné, maintenant, il est seul…

Un aspect du roman m’a profondément touché, c’est le fait que notre personnage soit un artiste, un poète et un peintre. Or ces artistes sont des êtres qui doivent guetter, capter, transmettre des fulgurances qui traversent la vie, que parfois nous ne savons pas voir, percevoir, alors qu’eux le font et les mettent en abyme pour nous, pour changer nos vies, plus exactement pour nous permettre de mettre en œuvre ce changement… L’artiste, devant sa page ou sa toile blanche peut parfois rester muet, silencieux, stérile, de très longues périodes… Notre personnage, assommé par la solitude, est dans cette phase ? Rien ne plus venir, rien n’est plus accessible… La terre est devenue un désert, sa vie un long tracas sans aucun sens… Plus de texte ! Plus de tableau ! Et, donc, plus rien !

Heureusement, il y a l’autre, celui qui est là derrière son épaule, qui le suit, qui le hante… mais qui est-il ? J’ai mon explication, elle est très personnelle mais elle aurait bien un sens… C’est ce que certains appellent Dieu, c’est cette force que d’autres appellent Fatum… ici, nous dirons Le suiveur… Il existe à certains moments, il en est certain, puis il doute, il croit être l’objet d’hallucinations… Mais, me direz-vous, ce suiveur est bien réel puisqu’il y aura contact entre les deux personnages ! Ce guetteur est en combat physique contre celui dont on ne prononce pas le nom. Il lutte comme Jacob contre cette force qu’il n’arrive pas à identifier. Vous me direz que cela ne tient pas la route puisque ce combat est spirituel et que notre guetteur sortant de l’eau, au moment de l’affrontement le plus fort, est blessé… On est loin d’un combat mystique ! Oui, mais Jacob, le lendemain de son combat avec l’ange ou Dieu, se mit à boiter de la hanche… Mais vous restez libre de croire ou pas à cette explication d’ailleurs, le guetteur, lui, ne sait pas quoi penser de tout cela…

Vous l’aurez bien compris ce livre a raisonné et résonné en moi. Je me suis laissé porter par ce texte que j’ai apprécié, qui est d’une grande qualité et qui démontre que souvent poésie et mysticisme font bon ménage. Le guetteur, c’est l’image de tout homme sur cette terre, condamné à chercher du sens en tout, condamné à rester seul bien souvent face à ses interrogations et qui, quand il a trouvé l’âme sœur digne du partage, doit s’attendre à la voir partir. Certains parlent de morbidité, je dirais plutôt stoïcisme c’est à dire finalement se mettre en position de vivre, malgré tout !

C’est donc bien un livre d’espérance, d’ouverture, plein d’humanité, poétique et métaphysique, qui par essence même ne pourra pas plaire à tous les lecteurs. Mais comme nous avons encore la chance de lire ce que nous voulons, ne laissons pas passer le guetteur halluciné sans le rencontrer !

Reste à lui donner une note… puisque c’est la règle sur le site. Pour la qualité d’écriture, pour l’originalité du ton et du « tu » narrateur qui ne m’a absolument pas perturbé, pour le fond de ce texte que j’ai adoré, pour le plaisir ressenti durant la lecture… oui, pour toutes ces raisons, je donne quatre étoiles à ce texte ! Mais, ce roman est difficilement comparable à d’autres livres donc comme toujours, je reste très prudent sur la notion de note qui est un système relatif et comparatif…

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 11 septembre 2013


Aujourd'hui, Mona est morte 6 étoiles

En toute honnêteté, je n’aurais pas acheté ce livre. Un titre comme « Le guetteur halluciné » est un peu trop crypté pour moi. Or, ce roman m’a été proposé en service presse sur le site de CL et j’ai trouvé la démarche intéressante. Il est toujours enrichissant de se retrouver à lire ce que, naturellement, on n’aurait pas lu.
Certes, il y a eu une mini polémique autour de la première critique publiée. Certes, il est peut-être plus compliqué de rédiger une critique objective alors que l’on a pas eu à acheter le livre. Cependant, il est, à mon avis, aisé de passer outre tout cela, chaque lecteur étant à même de donner au moins ses impressions de lecture sans laisser penser qu’il est au service de l’auteur.
Concernant ce roman, comme je l’ai dit, je ne l’aurais pas acheté. Mais je l’ai lu. J’ai eu un peu de mal à entrer dedans mais, finalement, ce fut une belle lecture.
J’ai lu que le sujet est « étouffant et morbide ». Je ne partage pas totalement ce point de vue. Je ne vois rien de morbide dans ce livre. Par contre, on peut se sentir prit à la gorge par l’angoisse qui traverse le roman.
Il s’agit d’un homme qui raconte sa survie suite au décès de l’être aimé. Il ne s’agit donc pas d’un roman sur la mort mais bien sur la lutte pour la vie.
Le côté étouffant, à mon sens, peut venir de cette envahissante absence qui nourrit le texte. Tous, un jour ou l’autre, nous serons confrontés à la mort de l’autre. Par son utilisation du « tu », le narrateur dialogue avec le lecteur à la fois de manière personnelle mais également impersonnelle, le « tu » ayant une valeur de « on ». Le narrateur comble l’absence de Mona avec des mots. Mais, ce qu’il raconte, c’est la lutte au quotidien. Il s’agit donc de combler avec du vide, avec le quotidien, les efforts de chaque jour pour accomplir les gestes les plus simples qui, du jour au lendemain, sont devenus vides de sens puisqu’ils ne sont plus l’expression d’une vie commune mais d’une vie en deuil.
Un autre élément textuel à prendre en compte : l’auteur passe aisément du « tu » à la réflexion sans réelle transition.
« Les mois passent. Les heures s’égrènent. Tu titubes en des aires stériles. Tout se brouille. Tout s’embrouille. Ces matins inutiles, lourds des peines de la nuit dans le silence des jours qui vient. L’humanité va mal. Le mal s’emballe. Toujours plus de massacres, plus d’injustice, plus de misère. Pour toujours plus de profit ».
Dans ce beau passage, notez le très poétique et, en ce qui me concerne, très abscons, « Tu titubes en des aires stériles », le « tu » est perdu au milieu d’une réflexion plus générale sur l’état du monde. Ces imbrications sont nombreuses dans le texte et diluent parfois le propos.
D’ailleurs, le texte est ponctué par de nombreuses trouvailles poétiques qui, loin de faire sourire le lecteur, sont comme des points d’ancrage : « La mort nous dévisage mais on ne la regarde pas. Il faudrait pouvoir mourir comme la lumière qu’on éteint ». Grâce à ces formulations, le texte ne tombe jamais dans le pathos. Il s’agit souvent d’un constat cruel mais derrière toute douleur se tient un élément de vie, une leçon, un espoir.
Je dois avouer manquer de mots pour vraiment rendre justice à ce texte car c’est vraiment éloigné de mes lectures habituelles. Cependant, je peux dire que la sensation qu’a le narrateur d’être suivi ne m’a pas convaincu. Je veux bien croire que dans des moments de grande faiblesse spirituelle on s’imagine des choses mais je reste dubitatif quant à l’aspect symbolique de cette hallucination. Du reste, on se demande qui est ce « guetteur halluciné », le suiveur ou le suivi ? J’ai l’impression que tout est là mais de ne n’avoir pas trouvé la réponse.
Enfin, un dernier mot sur l’objet lui-même. Le Lavoir Saint-Martin, est une petite maison d’édition qui fait bien les choses puisque le roman est proposé à seulement 15€ ce qui est fort raisonnable pour un papier gaufré d’aussi bonne qualité.

Numanuma - Tours - 51 ans - 9 septembre 2013