Gaudeamus
de Mircea Eliade

critiqué par Pucksimberg, le 26 juillet 2013
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Un héros antipathique, critique et donneur de leçons
Le narrateur de ce roman, sorte de double de l'écrivain lui-même, raconte ses années universitaires en Roumanie. Il s'agit du même narrateur que dans "Le roman d'un adolescent myope". L'adolescent est devenu majeur, ses idées se précisent et se confirment, son jugement devient sévère et sa conception de la vie est très personnelle.

On retrouve donc certains personnages de son premier opus. Le narrateur évoque les discussions de ces universitaires très différents les uns des autres. On y parle littérature, avenir, amour, théâtre. Deux femmes auront une importance dans l'apprentissage du personnage principal : Nonora jeune fille libérée, séductrice qui distribue sans rechigner des marques d'affection et Nishka, jeune fille qu'il a modelée comme il l'entendait. Ce dernier point le fait jubiler : on sent un personnage qui aime créer, façonner, gérer le monde qui l'entoure et les êtres humains.

Le personnage principal, double de Mircea Eliade, n'est pas attachant. Dans "Le Roman d'un adolescent myope", il était fragile et souffrant, ce qui excusait parfois certains de ses gestes. Dans "Gaudeamus", il est dur dans ses propos, condamne souvent les attitudes de ses amis, a le sentiment de détenir un pouvoir suprême. Il sacrifie ses soirées estudiantines en sombrant dans des lectures effrénées. Il souhaite posséder le Savoir, la Connaissance. Pour ce faire, il engloutit les livres, apprend des langues vivantes et des langues mortes afin de s'en servir à l'avenir. Il annonce continuellement qu'il va devenir quelqu'un d'important et se rend assez effrayant parfois :

"Il va de soi que l'on ne saurait tout posséder ; mais on peut cueillir et s'approprier toutes les essences du génie humain. J'aurai donc besoin de cinq, dix ou cinquante années. Une fois le but atteint, je pourrai me dire à moi-même : Je me suis recréé, en travaillant d'arrache-pied et méconnu par tout le monde ; j'ai dépassé mon espèce, parce que dans mon cœur et dans mon cerveau se sont accumulés tous les fruits du travail humain ; de leurs semences pousseront peut-être des ponts, des champs cultivés, des jardins ..."

Ou encore :
" Je suis si heureux de me sentir jeune, frais, la poitrine large et les épaules fortes, acharné dans cette lutte que je mène contre moi-même, contre le monde, contre la destinée ... Qui pourrait me vaincre, maintenant ?"

Ce roman narre la maturation des idées de l'écrivain, la structuration de son être propre, de son identité. Il prend de la distance avec la pensée ambiante et trouve un sens à son existence en se créant son propre système de valeurs. Cette oeuvre est intéressante pour mieux appréhender cet auteur et comprendre certaines références dans ses autres romans. De plus, sa peinture du monde des étudiants roumains est captivante et vive. Malgré cet intérêt, le personnage reste imbuvable, antipathique et s'arrange souvent avec la réalité. Son comportement avec Nonora à la fin du roman est tout simplement abject.

Un flamboyant antihéros !