Portrait de l'enfant
de Louis Calaferte

critiqué par Eric Eliès, le 27 juillet 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Résurrection, avec cruauté mais avec sincérité, des peurs et des désirs de l'enfance
Ce livre de Louis Calaferte est une suite d’évocations d’instants de l’enfance. Les souvenirs sont racontés d’une manière simple et objective, sans afféterie littéraire et sans analyse psychologique, comme si Calaferte s’efforçait avant tout de ressusciter l’instant vécu dans son immédiateté et dans sa totalité, sans qu’aucune pudeur ne vienne censurer l’expression de l’auteur ou qu’aucune intelligence de la situation ne vienne éclairer, a posteriori de l’acte, le comportement souvent sibyllin et violent de l’enfant.

Le garçon décrit par Calaferte (qui emploie la 3ème personne) vit dans un milieu mi-paysan mi-ouvrier, régi par le passage du temps et par la dureté des travaux qui façonne les hommes. C’est un garçon solitaire et violent, qui agit souvent par impulsion. Sa vie intérieure est riche mais bouillonnante, pleine de désirs réfrénés et de craintes inavouées. La mort, omniprésente dans le recueil (soit réelle soit fantasmée) le fascine et il échafaude fréquemment des plans pour mettre les autres enfants en danger. Dans le même temps, on ressent un intense désir de pureté mais le monde le frustre et le rebute. Il fuit les personnes âgées, les personnes malades ou faibles, etc. dont la décrépitude lui semble être une souillure. Ses élans sont fréquemment incompris et suscitent des vagues de haine envers le monde et envers les autres, même ceux qu’il aime (notamment sa sœur). Le caractère profondément cruel de l’enfant, son attitude parfois hystérique peuvent choquer ceux qui se représentent l’enfance comme le paradis perdu du temps de l’innocence. Ici, l’enfance est l’enfer de celui qui découvre la cruauté du monde et cherche à se construire dans des expériences de rapport de force avec la nature et avec les autres, en se montrant plus cruel et plus fort que le monde sans parvenir à surmonter ses peurs.

Les textes, courts et pleins de fulgurances mais parfois un peu répétitifs, sont caractéristiques du style de l'auteur dans "Satori" ou "La mécanique des femmes". A petites ou larges touches pointillistes, ils ressuscitent les peurs et les désirs de l’enfance dans leur plus brute sauvagerie, et ont souvent la brièveté et la densité du poème en prose.