Contes au fil du temps
de Ivo Andrić

critiqué par Tistou, le 1 août 2013
( - 68 ans)


La note:  étoiles
14 nouvelles
Il y a du Maupassant dans cet Andric là. Un Maupassant balkanique. C’est un kaléidoscope de situations … yougoslaves (pris au sens large) qu’on nous donne à lire ici. A vrai dire, s’agissant d’une édition posthume, on n’est pas en mesure de discerner si l’agencement de ces 14 nouvelles avait été imaginé par Andric lui-même, ou par la maison d’édition qui disposait de ces nouvelles, entre autres ( ?) ?
Ca commence avec un Frère Pierre – la religion n’est pas un vain mot en ces pays – ça bifurque vers des Ottomans. On revient à nouveau vers un Frère, pour une confession. Puis une curieuse affaire de tapis. De serpent, pour démontrer les limites du volontarisme et des possibilités des occidentalisés de l’époque qui se pensaient (un syndrome encore courant !) dotés de capacités supérieures. Encore la religion avec « Un miracle à Olovo », un drôle de miracle en vérité ! Et puis des misères de l’enfance, avec toujours sous-jacents les conflits ethniques qui contaminent tout. Une nouvelle plus marquante, encore en relation avec l’enfance et qui sent bon son vécu ; « Le livre » qui m’a beaucoup rappelé dans sa construction et son dénouement « La parure », de Maupassant. Juste après l’enfance, l’âge d’étudier, avec « Les voisins », une nouvelle encore une fois étonnante où un étudiant découvre en quelque sorte des aspects curieux des relations en société. (Lisant au même moment « La confusion des sentiments » de Stefan Zweig, ça m’a paru y faire terriblement écho) « La promenade », version balkanique d’un « Monsieur William » ! Une fin pitoyable enfin, celle de « Djordje Djordjevic », l’archétype d’un mou, d’un faible, qui ne veut en rien se « mouiller » et qui passe à côté de tout.
C’est parfois cruel, attristant mais toujours d’une grande justesse psychologique. Ivo Andric écrivait simple … mais efficace !
Un petit extrait, du « Serpent » :

- « Ne sois pas une enfant ! Tu te rappelles, le comte Prokes disait que tu exagérais et te répétait le proverbe turc : « Qui pleure sur le monde entier y perdra ses yeux. » Il a longtemps vécu en Orient. Il y a partout au monde de la misère et de l’arriération, mais surtout dans ces pays, et qu’y peut-on ?
- Ah ! rien du tout, par ma foi, rien du tout … C’est-à-dire, on pourrait, on devrait. On doit bien pouvoir faire quelque chose. Car ni eux ni nous ne pouvons vivre ainsi. C’est inconcevable, c’est atroce !
- Mais ce n’est pas notre faute, disait la cadette d’un ton suppliant et impatient, prête à fondre en larmes, elle aussi. – Non, ce n’est pas notre faute, répondait l’aînée machinalement. Mais elle se reprit aussitôt. – A vrai dire ; je ne sais pas. C’est trop facile de dire : « Ce n’est pas notre faute ! » ; car finalement ce n’est de la faute de personne, et pourtant tu vois bien ce qui se passe et comment ils vivent. Tu l’as vu de tes propres yeux. Il doit bien y avoir un coupable, car sinon comment une telle horreur serait-elle possible ? Une telle horreur ! »