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de Robert Sheckley

critiqué par Eric Eliès, le 1 août 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un ouvrage hybride de SF délirante et de littérature de l'absurde, servi par une imagination foisonnante
Ce roman de robert Sheckley est de la SF par commodité, en ce sens que la SF n’est ici que le prétexte d’un exercice de style au service d’une écriture délirante mais globalement bien maîtrisée. L’histoire est simpliste : un voyageur stellaire (qui assure le convoyage de queues de langoustes à travers l’espace !) est prévenu par son ordinateur de bord (programmé pour avoir des sautes d’humeur pour rendre le voyage moins monotone !) qu’une pièce de soupape prévue de durer deux siècles va lâcher dans trois jours et doit donc être remplacée. Aussitôt, le héros (Mishkin) met le cap sur la planète « Harmonia » où se trouve un silo de pièces de rechange. Hélas, la pièce se trouve dans un hangar annexe, distant du silo principal. Mishkin va donc devoir traverser la planète, escorté d’un robot parlant à 4 pattes et à 4 bras (une sorte de tarentule déguisée en robot) spécialisé dans l’identification et l’élimination des dangers. Hélas, le robot a été programmé pour une autre planète (la première scène où le robot tente de convaincre Mishkin que le tigre à dents de sabre qui les attaque est une sorte d'herbivore qui imite le tigre à dents de sabre est à la fois subtile et hilarante), ce qui le rend moins efficace et beaucoup plus contemplatif (tout en restant assez acerbe vis-à-vis de Mishkin !).

Mishkin ne trouvera pas sa pièce mais fera de multiples rencontres, toutes très improbables et propices à des interrogations mi-sérieuses mi-burlesques, très marquées par les années 60 (ce que souligne le robot auprès de Mishkin et ce dont l’auteur s’excuse auprès du lecteur !) sur le rapport à la réalité et sur les confusions possibles entre ce qui est vrai, ce qui peut être tenu pour vrai et ce qu'on pense être vrai. Sheckley joue en permanence sur tous les registres du comique de situation, en créant des décalages et des superpositions incessantes entre le fantastique, le merveilleux et le prosaïsme, et en ne faisant aucun effort de continuité dans le récit, qui progresse tant bien que mal. L’écriture rappelle davantage celle de Boris Vian ou d'auteurs écrivant sous influence de psychotrope que celle des auteurs classiques de la SF américaine. Ci-dessous quelques exemples de phrases ouvrant des paragraphes dans le style caractéristique de l’auteur :

- Mishkin était en train de marcher tranquillement en méditant sur la nature de la réalité, lorsqu'une voix l'appela : "Bonjour !"

- Après avoir franchi une petite hauteur, ils aperçurent un individu en habit de soirée, chapeau haut de forme sur la tête, assis sur une valise métallique noire. Devant lui, deux rails de chemin de fer rouillés s'étendaient sur une quinzaine de mètres, de part et d'autre.
" - Mon Dieu, fit le robot, encore un taré.

"Quand est-ce que les hallucinations s'arrêteront ? demanda Mishkin.
- Quelles hallucinations ?"

Certaines rencontres sont plus marquantes que d’autres, telle celle avec les invisibles qui ont décidé de mettre des panneaux et de la peinture partout parce qu’ils ont en marre de se cogner aux autres êtres et objets invisibles ! Au début, c’était pour eux amusant d’être invisible pour surgir devant les gens mais « maintenant tout le monde nous connaît dans le coin. Ca n'effraie plus personne, ils nous disent d'aller nous faire foutre »

Sheckley entrecoupe également son récit de nombreux interludes, aux titres souvent amusant et parodiques (exemple : "La Terre contre les noires créatures d'Enfer du lointain Arcturus"). L’un d’entre eux ("S'amuser grâce aux phénomènes") est un prospectus publicitaire incitant les anges à faire l’expérience d’une existence humaine, pleine d’incertitude et d’angoisse.

Bien évidemment, ces péripéties et cette discontinuité voulue ne font pas progresser le récit et l’auteur se met alors lui-même en scène, écrivant des lettres à son héros pour s’excuser de faire cafouiller l’histoire ! Il lui propose même de lui substituer un nouveau héros mais celui-ci, peu après sa rencontre avec Mishkin (pour organiser la passation de suite !), tombe malade. En outre, et l'auteur n'y peut rien, la pièce de rechange n'est pas disponible. Mishkin, qui par chance avait été appelé par son oncle Arnold (qui avait gagné une télécommunication spatiale et un caddie garni dans un concours de supermarché !), a pu prévenir la Terre de ses déboires mais les voyages spatiaux ont été supprimés… La pièce, qui se trouve quelque part sur Terre, passe alors de main en main, finissant dans un bazar sur les rives de la mer de Java dans une ambiance de roman d’aventures, dont l’atmosphère est très bien restituée, démontrant que Sheckley est à l’aise dans tous les genres romanesques…

Au final, la lecture est plaisante, souvent divertissante (l'imagination de Sheckley est débordante !) et parfois surprenante, avec des digressions qui méritent une relecture car on sent que Sheckley maîtrise les concepts philosophiques avec lesquels il joue, mais l’exercice de style n’échappe pas à la facilité.