Siegfried : Une idylle noire
de Harry Mulisch

critiqué par Macréon, le 13 avril 2003
(la hulpe - 90 ans)


La note:  étoiles
La dernière chance de Hitler
Harry Mulisch est un auteur hollandais très apprécié dans le monde mais pratiquement inconnu dans nos régions. Il est né à Haarlem de mère juive (elle a perdu une partie de sa famille dans le camp de concentration de Solibor) et de père aryen, collaborateur des nazis. . Mulisch a été envoyé pendant plusieurs mois par un quotidien allemand, en 1961, pour le procès de Eichmann et en a tiré un ensemble de chroniques devenues un livre intitulé “l’Affaire 4O/61. “
C'est à une double page à lui consacrée par le quotidien Libération sous la signature de Natalie Levisalles ( 20 mars 2003) que nous devons de l’avoir découvert.
Ce dernier livre commence réellement au bout de soixante pages insignifiantes quand le personnage Herter, le double ou le masque de l’auteur, se rend dans une maison de retraite de Vienne pour y rencontrer Julia et Ullrich Falk, nés respectivement en 1910 et 1914. Ceux-ci ont quelque chose d'important à lui révéler. Le vieux couple a donc connu presque tout le siècle. “ Ce n’était pas un si beau siècle, mais c'était un siècle intéressant. Du moins pour tous ceux qui ont survécu. Disons que c'était un siècle inoubliable."
Ullrich et Julia se marient en 1934.
Lui devient garçon de café ."Sa tâche consistait à servir de la bière, du vin et de la saucisse." Mais il n’était pas seulement garçon de café. Il avait participé, arme au poing, à une dangereuse tentative de putsch au cours de laquelle le chancelier autrichien Dolfuss fut tué. Julia était la fille d’un des chefs fascistes, un comptable aux travaux publics de la ville. Ils se marièrent.
Et maintenant, ils étaient ensemble depuis soixante-six ans. " De nos jours, on voit tout dans la perspective d’Auschwitz, s'excusa Falk. A cette époque, Auschwitz n'existait pas encore."
Deux ans plus tard, en 1936, on vient le chercher à une des réunions subversives du café pour une place vacante au Berghof, la résidence de campagne de Hitler. Une place pour un couple "sûr" dont le mari devait remplir les fonctions de garçon-serviteur et la femme s'occuper du ménage.
" Vous n'aviez pas peur, demande Herter, le narrateur ?"
" Peur, peur, répéta Falk. Dans cette période, il n’y avait pas encore beaucoup de raisons d’avoir peur. Le vrai cauchemar allait venir plus tard. " Un soir de mai 1938, la main élégante posée sur le cou de sa chienne Blondi, Hitler les convoque en présence d'une partie de son staff : "monsieur Falk, madame, je vais vous révéler un secret d’Etat: Mlle Braun attend un enfant." Le problème, leur expliqua ensuite Bormann, présent à la réunion, est que toutes les Allemandes auraient voulu avoir un enfant du Führer. Elles appelaient déjà leur fils Adolf. Il ne fallait pas oublier que c’était les femmes qui l'avaient porté au pouvoir! Il fallait donc camoufler la chose. Et l’enfant à naître devait, pour un temps, passer pour celui du couple Falk. Non seulement, ce dernier devait renoncer à l’idée d'avoir des enfants, mais Julia devait faire semblant d’en attendre un.
Au bout de quatre mois, Eva Braun prit congé des secrétaires et partit pour un long voyage en Italie pour en revenir discrètement. Tous les matins, nous dit l'auteur, “Julia entassait toutes sortes de chiffons, des serviettes de toilette et plus tard des coussins pour imiter la croissance naturelle de l'enfant du Führer."
L'accouchement eut lieu en novembre. Le prénom du fils : Siegfried, le grand héros germanique qui ne connut pas la peur, le petit-fils de Wotan, porteur du pouvoir de destruction dans la Tétralogie.
La suite, nous préférons ne pas vous la révéler afin de sauvegarder le piment, l’intérêt de la lecture.
Il y sera question d’un ordre de Berlin, de problèmes d'origine raciale (tiens, tiens) et du dernier journal d’Eva Braun, en avril 1945. En filigrane, pendant tout ce récit, la personnalité du Führer, incarnation du mal, de son pouvoir alors qu’il n'est “ rien". Eva Braun échappe, dans le livre , à la diabolisation. Comme l'écrit Harry Mulisch( 75 ans), auteur de nombreux écrits ( non traduits) sur le Führer :" j'ai voulu donner sa chance à Hitler. Il ne l’a pas saisie, donc il est vraiment mauvais. On le savait déjà. Maintenant c’est prouvé. Ce livre est le tout dernier que je lui consacre. S’il y avait une personne capable de parler de cela, c'est bien moi. Avec Siegfried, j'en ai fini avec Hitler, je me suis débarrassé de lui."
Un livre entre littérature et philosophie, (Nietzsche notamment) entre fiction et réalité. A lire et à relire pour la qualité dramaturgique de l'oeuvre.
Surprenant et un peu provoc ! 8 étoiles

« Je suis la Seconde Guerre Mondiale ».
Cette phrase d'Harry Mulisch résume assez bien la dualité des origines du personnage dont le père a été un collaborateur nazi pendant la guerre et la mère juive !

Dans ce roman, un écrivain se rend à Vienne pour parler d'un roman fortement apprécié par son public. Dans son esprit, un projet de roman commence à mûrir : "Il ne sortait pas de son laboratoire littéraire, cherchant à imaginer une situation expérimentale dans laquelle il pourrait placer Hitler de manière à se frayer un chemin jusqu'à la structure du caractère de cet homme, et il était inquiet de ne pas la trouver immédiatement." Suite à une interview dans laquelle il évoque en partie ce projet, il se voit contacté par un couple de personnes âgées voulant lui parler au plus vite. Ils ont connu Hitler. Ils lui ont parlé. Il leur a donné sa confiance. Ils ont partagé une part de sa vie ... L'écrivain est complètement stupéfait par ces révélations. La réalité semble même surpasser la fiction.

Ce roman se lit d'une traite et captive le lecteur. Les réflexions initiales de l'écrivain qui est une projection de Mulisch ( cheveux ébouriffés comme lui, son narcissisme, son roman de mille pages intitulés ici "La Découverte de l'amour" alors que le vrai titre est "La Découverte du ciel", ses recherches sur Eichmann ... ) sont intéressantes et mettent en valeur le quotidien de cet auteur et ses devoirs quant à certaines invitations journalistiques ou culturelles.

Evidemment, je n'ai pas lu ce roman en voulant lire un roman historique. Le ton est donné dès le début du roman : On place au centre un personnage mondialement connu et par le détour de la fiction on essaie de toucher à son essence même, le mal ici. Ce n'est pas ce que fait le personnage principal dans ce roman, mais c'est ce que fait Harry Mulisch en nous donnant à lire ce texte qui repose sur quelques inventions !

Il est assez déconcertant de côtoyer Hitler et Eva Braun, tout comme les proches de ces personnages. On entre dans leur intimité et l'on voit "la part humaine" de ces êtres monstrueux. L'intrusion de pages fictives du journal d'Eva Braun ne font que troubler davantage le lecteur qui a le sentiment d'entrer dans l'esprit de ces individus.

La réflexion philosophique sur le néant et Hitler est intéressante, certaines considérations sont presque ésotériques, et pourquoi pas ! C'est un roman !

Comme dans chacun de ses romans, Mulisch établit des liens entre les références culturelles et le monde moderne : "Le crépuscule des dieux" est convoqué, des allusions à Siegfried sont faites. Le fait que l'auteur se soit projeté dans le roman ne fait que rendre trouble une histoire qui paraissait facile à comprendre. Le couple de vieillards porte le même nom que la véritable nourrice de Harry Mulisch et si l'on pense au rôle de ce couple dans le roman, certains éléments seraient peut-être des échos à la biographie de l'auteur, du moins des remarques symboliques. S'il fallait donc aller au bout de ces comparaisons, tout serait vraiment inquiétant : Siegfried = Mulisch ? Hitler = père de Mulisch ? ...

Un roman déconcertant, provocateur, parfois déjanté par ses idées, mais ancré dans l'Histoire du monde. Une histoire qui dépoussière certains mythes et qui éclaire une autre facette de cet auteur qui aime déranger et perdre son lecteur dans ses élucubrations. Je reconnais que j'apprécie fortement !

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 16 février 2013


Le Da Vinci Code du nazisme 4 étoiles

Rudolf Herter, écrivain dont l’histoire familiale n’est pas sans évoquer Harry Mulisch lui-même, est en voyage à Vienne et aborde dans une interview à la TV le personnage d’Hitler. Le lendemain deux petits vieux d’une maison de retraite le contactent pour lui livrer leur terrible secret sur le Führer.

Les lecteurs de Harry Mulisch connaissent son obsession pour la 2ème Guerre Mondiale, le nazisme et l’holocauste. Il se lance ici sur une idée hasardeuse, qu’il dévoile au milieu du roman. En découvrant ce dont il s’agit, je me suis inquiété car certains personnages sont trop symboliques, certains événements trop chargés d’émotion pour qu’on puisse se risquer à jouer avec sans décevoir ou choquer. Mes craintes se sont malheureusement révélées fondées.
Il y a quelques réflexions philosophiques intéressantes sur l’origine du Mal, sur Shopenhauer et Nietzsche. Par contre il est navrant de voir Mulisch tomber dans la numérologie pour concierge (chapitre 17) ou inventer une très artificielle machination de Himmler (chapitre 18). Les lecteurs de La découverte du ciel apprécieront le parallèle entre la mort de Max Delius lorsqu’il devine la présence de Dieu et celle de Rudolf Herter lorsqu’il devine la présence du Mal. Pour le reste, H. Mulisch, qui a su montrer dans d’autres ouvrages son intelligence et sa culture encyclopédique, s’est fourvoyé.

Pour visiter et réfléchir le personnage d’Hitler, je recommande plutôt La part de l’autre de Eric-Emmanuel Schmitt qui est infiniment supérieur.

Romur - Viroflay - 51 ans - 18 février 2009


Une falsification 1 étoiles

Une falsification historique Comme le dit très bien le critiqueur Macréon, dans la première partie du livre, le personnage Herter porte le masque de l’auteur. Ca nous permet de voir comment l'auteur se considère : écrivain à succès, les foules se bousculent pour le voir, les femmes se pâment d’admiration, les journalistes font le pied de grue devant sa porte pour recueillir ses interviews, pendant que sa secrétaire, jeune et jolie comme il se doit, lui tient un miroir pour qu’il s'admire. « Insignifiant », comme le dit poliment Macréon, ou « sympathique à lire », comme le prétend, avec beaucoup d'indulgence, l'excellent critiqueur Saule. La suite du livre procède d'une affabulation qui, à mon avis, n'est pas permise : on ne peut pas inventer qu’Hitler avait un fils. Pas plus qu’on ne pourrait inventer un roman sur une liaison entre le Roi Baudouin et Sœur Emmanuelle. Ou un autre dans lequel on raconterait l’assassinat des Kennedy par Bill Clinton. Ou un autre encore où le Roi de Prusse serait le fils de Napoléon... A la rigueur, on pourrait imaginer que ce seraient des romans farces, bourrés d’humour, mais, .écrits par un Hollandais ? Oui mais enfin, dira-t-on, si ce récit n'a pas de sens, il est en fait le prétexte à d'importantes digressions philosophiques. Et en effet, à tous les coins de pages, notre illustre auteur nous cite un peu au hasard, les célébrités qu'il connaît : Maître Eckhart, Nietzsche, Wagner, Heidegger, Kierkegaard, Sartre… Ca m’a rappelé ce que me disait autrefois ma petite soeur : « méfie-toi des gens qui parlent de leur culture. La culture c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale. » … Peut-être que cet auteur, très content de lui, était à cours d’imagination et qu’il tenait néanmoins à nous faire part de l'étendue de sa culture. Mon avis sur ce livre ? - Ne perdez pas votre temps, faites autre chose !

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 23 novembre 2003


Hitler, personnification du Néant. 7 étoiles

Voila un roman qui mélange les genres : thriller historique ou essai philosophique ? Comme le dit Macréon il commence de manière insignifiante : un écrivain hollandais célébré est invité à Vienne pour promouvoir son dernier livre. Lors d'une émission télévisée, il émet une idée qui ne le lâchera plus : la seule façon de parvenir à comprendre et ainsi en terminer avec Hitler est de le faire entrer dans la fiction. On devine une large part autobiographique dans cette première partie, sympathique à lire mais sans grand intérêt.

Deuxième partie : un couple de vieux l'aborde après le débat et lui annonce qu'ils ont une révélation capitale à lui faire sur Hitler. Le roman se transforme en thriller historique, avec cette histoire racontée par un couple dans l'entourage immédiat de Hitler. Cette partie, bien emmenée, se lit avec plaisir sans être dénuée d'intérêt.
Troisième partie : abasourdi par ce qu'il vient d'apprendre (et que je ne révèle pas), l'auteur se lance dans un monologue philosophique. Hitler est la représentation du néant, le trou noir qui aspire et détruit tout ce qui l'approche. Il pérore légèrement sur la théologie (les personnes intéressées par la figure de Maître Eckhart se demanderont pourquoi celui-ci se voit qualifier de mystique fanatique, sans autres explications) puis il embraye sur Nietzsche, Wagner, Heidegger, Kierkegaard, Sartre,.... A moins d'être spécialisé dans le domaine, le lecteur aura du mal à garder le cap lors cette incursion dans le domaine de l'essai philosophique.
Et finalement, à travers le journal intime d'Eva Braun, Mulisch imagine la fin d'Hitler et des ses proches dans le bunker. Intéressant même si le lien avec le reste du roman n'est pas évident. Je ne dirai rien sur l'épilogue, très beau, qui rachète et donne un sens en partie au récit qui précède.
Mon avis est donc mitigé même si ce roman est certainement intéressant et qu'il nous permet de découvrir un illustre écrivain batave.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 2 août 2003