Cortés et son double : Enquête sur une mystification de Christian Duverger

Cortés et son double : Enquête sur une mystification de Christian Duverger

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire , Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire

Critiqué par Débézed, le 5 août 2013 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 255ème position).
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La mort d'une icône

Bernal Diaz Del Castillo, simple soldat dans la troupe d’Hernàn Cortés lors de la conquête du Mexique, décide à soixante-dix ans de rédiger « L’histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne » pour rectifier la version de cette épopée proposée par Gomora et les chroniqueurs qui l’ont suivi sur la même voie. Après une analyse d’une grande rigueur scientifique, Christian Duverger démontre, que celui-ci ne peut pas être l’auteur de ce texte. « Le rédacteur de l’Histoire véridique en sait trop pour continuer à se faire passer pour Diaz del Castillo ». Mais comment et surtout pourquoi l’histoire, la légende, a-t-elle pu faire de ce soudard presque illettré un génie précurseur de la littérature espagnole ? C’est en grande partie le propos de ce livre qui ne se borne pas à démontrer l’imposture mais qui surtout nous explique avec force détails comment et pourquoi cette imposture a été construite. Une aventure digne d’une légende, d’une légende fondatrice d’un mythe littéraire et d’une histoire qui attribue de façon formelle et définitive les exploits qu’il a accomplis au grand conquérant espagnol.

Cette mystification plonge ses racines dans l’opposition entre deux des plus grands hommes de leur temps l’Empereur Charles Quint, roi d’Espagne à cette époque, et Hernàn Cortés le grand conquistador. Charles Quint avait besoin de l’or du Nouveau Monde pour payer les guerres qu’il menait sur le Vieux Continent afin d’asseoir son autorité sur un immense territoire, Cortés voulait que ses mérites soient reconnus et récompensés à leur juste valeur. Le conquistador rêvait d’un était créole laissant une place aux autochtones, l’Empereur ne voulaient qu’asservir le Nouveau Monde pour disposer de ses richesses. Et Cortés craignait la méthode habituelle employée par Charles Quint qui consistait à récompenser ceux qui l’avaient servi par des bénéfices ou territoires et, ensuite, a les faire traduire devant le Saint Office pour malversation dans la gestion de ces biens confiés et le Saint Office c’est l’inquisition et ses jugements impitoyables et sans recours.

Cortés a donc besoin d’authentifier et de légitimer ses conquêtes pour garantir ses possessions et même son existence et, comme il est déjà interdit d’écriture et de publication, il ourdit une machination infernale qui bernera jusqu’aux historiens les plus avisés pendant plus de quatre siècles. Il fallait impérativement qu’il ne puisse pas être identifié parmi les personnes qui ont donné corps à ce texte pour que son projet réussisse et qu’il puisse passer dans la postérité comme le grand conquérant qu’il a été et transmettre ses biens à ses descendants. « Les citadelles de pierre sont faites pour être jetées bas, mais que peut le temps sur l’esprit ? »

La démonstration de Duverger est magistrale, la méthode historique ne semble souffrir d’aucun défaut, il faudrait connaître l’avis d’éventuels détracteurs pour pouvoir émettre une critique sur la méthodologie utilisée, sa démarche parait très rigoureuse, il ne laisse aucune piste inexplorée, il envisage toutes les réfutations et objections. Mais pour autant pouvons-nous le suivre jusqu’au bout de sa démonstration, ne s’est-il pas laissé un peu emporter par la fascination qu’il semble avoir pour le conquistador auquel il a, par ailleurs, consacré une biographie. Disons simplement que certaines projections, quelques suppositions, ne sont pas garanties même si l’ « Epilogue imaginaire » clôturant l’ouvrage est magistrale. En définitive, je ne regretterai qu’une chose : que ce livre soit truffé de termes scientifiques comme si ce texte était réservé à des lecteurs avertis alors qu’il devrait intéressé un très large public comme semble l’indiqué le choix de la maquette éditoriale.

Ce livre est un excellent exemple de ce que doit être la critique scientifique d’un texte pour en exprimer toute sa véracité et tout ce qu’il peut cacher dans le non dit, dans le tu, dans le dissimulé, dans le suggéré, et même dans le transformé, le magnifié ou le « caviardé ». Mais, à mon sens, c’est surtout une formidable démonstration de la manière dont s’écrit l’histoire : comment naissent les légendes et les mythes, comment s’érigent les monuments, comment se tressent les auréoles et se constituent la gloire, la notoriété et la postérité.

On ne peut conclure sans souligner la montagne de notes, presque toutes en espagnol, et la profusion des sources bibliographiques ajoutées en fin de cet ouvrage qui semble être la destruction d’un mythe littéraire et peut-être la naissance d’un nouvel écrivain à ajouter parmi les fondateurs des lettres hispaniques qui aurait pu être aussi l’auteur du texte fondateur d’une nation créole au Mexique dès le XVI° siècle.

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Les éditions

  • Cortés et son double [Texte imprimé], enquête sur une mystification Christian Duverger
    de Duverger, Christian
    Seuil
    ISBN : 9782020604420 ; 21,00 € ; 17/01/2013 ; 310 p. ; Broché
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J'ai "dévoré" ce livre

9 étoiles

Critique de Tanneguy (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 85 ans) - 23 décembre 2013

La première partie est une véritable enquête policière avec rebondissements imprévus. L'épilogue, avec une entrevue imaginaire entre Cortès et le falsificateur de son manuscrit, le tout à l'Académie française lors de la réception de Maurice Barrès qui fait l'éloge de José Maria de Heredia est un petit chef d'œuvre.

J'avais déjà entendu parler de l'hypothèse selon laquelle Cortès était l'auteur du récit de la conquête du Mexique (on n'est jamais si bien servi...) qui a connu un tel succès, c'est je crois, le présupposé de la plupart des auteurs actuels. Je pense que le grand regret exprimé par Duverger est que l'on n'a pas reconnu les grandes qualités littéraires de Cortès ; même Heredia s'est laissé abuser et pourtant...

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